La mauvaise foi est son Credo
de notre correspondant spécial rivé à son écran plat comme son électroencéphalogramme, Pavu Paprika, le 29 Juin 2010,
Cette semaine : Albert Camus au Panthéon Albert Camus a dit : « Pour moi, je n’ai connu que dans le sport d’équipe, au temps de ma jeunesse, cette sensation puissante d’espoir et de solidarité qui accompagne les longues journées d’entraînement jusqu’au jour du match victorieux ou perdu. Vraiment, le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités. »
Il n'existait pourtant pas, au temps où Albert Camus proférait, de moyens d'embrouiller l'interviewé, ni de le déposséder de propos tenus hors antenne. Il ne s'agit pas d'une bourde prononcée dans la plus stricte intimité, mezzo voce sinon in petto, reprise et amplifiée par les médias de la culture du choux gras. Nous tenons là une déclaration authentique et de la plus haute importance, qui nous renvoie aux sources de la morale et de la religion, lesquelles furent aussi difficiles à découvrir que l'origine du Nil. C'est bien simple, je suggère de joindre désormais systématiquement au nom d'Albert Camus, en guise d'épithète, « le Stanley et Livingstone de la morale ». Grâce à lui on sait enfin sur quoi fonder nos impératifs catégoriques. C'est Nietzsche qui se sera donné bien du mal pour dire du mal du bien, et pour rien.
La morale, leçon apprise sur le terrain de football. Comme je suis d'accord avec le grand écrivain ! (Si quelqu'un peut me dire pourquoi Camus a baptisé le héros de l'étranger du nom d'un grand cru de Bourgogne, il m'obligerait). (C'est comme dans La peste : j'ai cherché vainement, comme les sources du Nil, une trace de l'avarice et des avaricieux ; et ce serait accorder trop de malice à l'auteur de Caligula que de prétendre y déceler quelque allusion à la peste émotionnelle dont parle Reich à propos des mouvements collectifs : Die emotionelle Pest ist eine chronische Biopathie des Organismus, etc...). Les coups de coude, les tirages de maillot, les simulations dans la zone de penalty, les protestations d'innocence lorsque l'on vient de fracasser le tibia d'un adversaire, mais aussi les propos plein de tact et de retenue des vestiaires, les tautologies imparables des journalistes, et les grandes leçons de fair-play que donnent hebdomadairement le CDMES ( Club des Millardaires en Shorts) me ramènent à l'esprit de Préau qui enchanta mon enfance, lorsque mes petits camarades soucieux de construire des projets solidaires me rouaient de coups pour s'entraîner aux combats de rue.
Est-ce par respect pour la pensée d'Albert Camus que l'équipe de France vient de jouer une version moderne d'Antigone - dois-je défendre mon copain Anelka ou obéir à mon coach Domenech ? Dois-je enterrer mon frère Polynice ou obéir à Créon ? Mais ce n'est pas Albert Camus, Monsieur Domenech, qui a écrit Antigone, c'est Jean Anouilh. Ou Brecht, mais on est en France, vous n'avez quand même pas oublié Schumacher. Ou ce grec de Sophocle. Ces entraîneurs, quand même, leur niveau culturel comme leur mémoire sont un peu défaillants. Remarquez j'ai connu une entraîneuse américanophobe à Pékin qui lisait Bérénice.
Lorsque je pense à Albert Camus, je me rappelle aussitôt une phrase de l'homme révolté : « la révolte est à l'homme ce que le ressentiment est à la femme ». Comment cela sonne juste, comme cela fut bien pensé. Puisse-t-il demeurer longtemps au programme du baccalauréat, et entrer enfin au Panthéon, Nobel oblige, on ne peut rêver plus bel exemple de l'Esprit français. Albert Camus rue Soufflot, c'est la secte des footeux accédant enfin au rang de religion d'État.