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Infanticide et aquaplanning familial : une idée à creuser (Les pyrosis d'Emilio Campari)

Infanticide et aquaplanning familial : une idée à creuser


                                           ( De l'infanticide comme solution au problème de l'avortement )

    Lorsque j'étais enfant, je connus quelques moments difficiles, contraint afin de ne pas paraître trop lâche d'assister à quelques dissections de grenades et autres munitions de mitrailleuses lourdes dont la poudre semblait suinter à travers le métal avant même que nous les ouvrions comme des huîtres avariées. Qu'elles n'explosassent pas entre les doigts fébriles de mes petits camarades inconscients ne laissait pas de m'étonner, tandis que j'anticipais les pires amputations sans trop d'effort - nous étions dans un temps où la loterie nationale se réclamait encore des Gueules cassées. En ce qui concerne mon propre sort, moi, que l'on sommait d'être présent sans autre fonction que de représenter la victime innocente potentielle, je m'imaginais volontiers aveuglé par la déflagration.

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    Je considère, grâce à ces expériences qui m'ont appris à me contrôler, c'est-à-dire à faire croire à mon entourage que je conserve mon sang-froid alors qu'il atteint des températures extrêmes, l'attitude de mes contemporains souvent plus jeunes avec le même regard : en particulier, ceux qui parlent de tout sans rien connaître des sujets qu'ils abordent, qui font leurs choux gras - encore une expression dont je devrais débusquer l'origine - des chiens écrasés - un autre lieu commun. Faire ses choux gras de chiens écrasés - voilà une expression doublement idiomatique, une concaténation de ce qu'on appelle désormais avec bonheur des topoï. Reconnaissons que l'actualité est généreuse, qui nous offre chaque jour une sorte de compétition dans le summum pour emprunter l'une des expressions favorites de DCB : les perches propulsent les sauteurs de plus en plus haut, les chronomètres devront bientôt être capables de compter les millièmes de seconde, les équipes de football ou les joueurs de tennis sont de plus en plus longtemps invaincus ; ainsi Roger Federer échouant à Roland Garros en quart de finale, plus que de perdre un match, mettait fin à l'espoir de battre le record d'invincibilité successive de je ne sais plus quel illustre champion.

    Mais je m'égare, comme disait Polyxène le sophiste. Donc, nous apprenons qu'une brave femme a étouffé non pas un ou deux de ses rejetons, nous n'en parlerions même pas ; non pas trois - ce sont les congélations de foetus qui ont lieu par trois - ; non pas six comme une de ses collègues de l'Aude il y a quelques années ; mais huit de ses dix enfants. Passons sur la culpabilité des deux survivants - je les entends déjà dans les cabinets de psychologues gémir et pleurnicher, mais pourquoi moi, et pas les autres ? Tant il est vrai que l'existence est franchement le plus souvent insupportable. J'espère qu'on pensera à leur offrir un exemplaire de l'inconvénient d'être né de Cioran. Revenons sur cette personne, que j'ai qualifiée de brave relativement au témoignage unanime des voisins, des employeurs, des collègues souligne son dévouement, son humanité - pensez, cette aide soignante se désolait du sort de ses patients. Et son mari qui n'en revient pas. J'oserai avancer qu'elle dégageait presqu'autant de sympathie que le charmant voisin dont on découvre avec stupeur la série de crimes mais qui a la délicatesse d'étrangler ses victimes avant de les violer (réminiscence de la définition de l'incesticide par Duchamp via Rrose Sélavy). Ça m'a un air de déjà vu cette chorégraphie : une adepte de la congélation foetale que l'on libère, il n'y a pas si longtemps ; les interventions plus prolixes qu'un discours de Fidel Castro sur le pourquoi du comment de ces comportements ; tous ces bavards pressant leur truffe sur l'objectif des caméras, ces bonnes âmes qui nous apprennent ainsi qu'à ces dames qu'elles ont souffert d'un déni de grossesse. Ah bon ? Ça s'appelle comme ça ? Et c'est grave ? On connaît d'autres sortes de déni ? Pas vraiment ? Et qui a inventé ce truc-là ? L'un de ces spécialistes auto-proclamés répétait en boucle que l'on ne se parlait pas assez dans nos sociétés, et que par conséquent on étranglait ses mioches. Bel argument, qui m'a ramené aux îles de la Société, dont jadis l'équilibre démographique, nécessaire étant donné l'absence totale d'industrie et la vie au jour le jour de ces gens-là avant que nous n'allions inculquer nos mauvaises manières dans ces coins de paradis, reposait sur l'élimination des nourrissons par trois méthodes : l'étouffement, la strangulation, et la fracture des vertèbres cervicales ( comme un lapin, par exemple ). Il y a plus de recettes d'infanticides sur notre planète que de manières d'accommoder un civet.

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Médée, Médée

    Invraisemblable ignorance de tout ce monde-là, ceux qui commentent l'actualité, et ceux qui donnent des leçons en nous enseignant ce que nous devrions percevoir. Moi qui ne l'ai jamais pratiqué, je sais que l'infanticide est une coutume régulière de l'humanité et du monde animal (j'en ai même décrit une variété chez les Scalaires dans l'Esprit faux). J'avais dénombré plus d'une centaine de thèses et d'ouvrages de médecine consacrés à l'infanticide au XIXe siècle ; plus récemment, près de vingt-cinq thèses, depuis 1985. Rien qu'en Bretagne, plus de six cents meurtres de nouveaux-nés ont été jugés entre 1825 et 1865. Savoir distinguer un décès naturel d'un trépas provoqué devant un nourrisson mort-né était une préoccupation de tout médecin lorsque les maternités n'avaient pas encore été inventées. Quant aux sages-femmes, elles laissaient il n'y a pas si longtemps le père auprès de son enfant difforme le temps qu'il prenne une décision opportune et sans s'étonner de rien lorsqu'à leur retour elles découvraient un petit cadavre muet comme leur connivence là où l'instant d'avant braillait un poupon mal fini.

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    Voyons le côté positif de la dépénalisation de l'infanticide, tendance clairement amorcée depuis une bonne décennie : certes les adversaires de l'avortement ne peuvent que se réjouir d'une extension de cette pratique, mais ce n'est qu'une avancée marginale dans leur campagne. En effet, indépendamment de l'inanité du concept de déni de grossesse, qui fera obstacle, tant sa débilité est garante de succès populaire et d'organisation de colloques, au développement de ce que je voudrais exposer succinctement, nous assistons à la reconnaissance d'une bonne vieille pratique ancestrale et nul doute que l'on puisse aujourd'hui mieux qu'autrefois attribuer ce comportement à quelque irrégularité d'une circonvolution cérébrale. La question de l'infanticide deviendrait alors celle d'un défaut d'inhibition d'un comportement naturel. Sitôt dépénalisé, l'infanticide serait-il démédicalisé ? Holà ! Pas si vite ! Et nos petits bénéfices secondaires... C'est qu'on souffre de ne pas souffrir comme tout le monde, c'est qu'on se sent coupable de ne pas ressentir de culpabilité ! Heureusement, l'Association Française pour la Reconnaissance du Déni de Grossesse a pris les choses en main, il faut en lire le blog inénarrable.  J'observe d'un oeil amusé les contorsions des législateurs, confrontés à une situation qui les dépasse totalement, aussi bien armés pour la circonstance qu'un vieillard aveugle et cul-de-jatte devant une bande de gérontophages, et garantis par l'expertise d'indigents restés au temps de Lamark, convaincus que la fonction fait l'organe et que l'on trouvera bien une explication sociologique à l'exercice outré de la puissance parentale. Il y a un ou deux étés, après qu'un parent eût oublié sa progéniture dans une voiture afin de le dessiquer plus sûrement que dans un four à micro-onde, et que le géniteur fut absous de son étourderie, quelques pères de familles pas forcément nombreuses et n'ayant pas lu les contes de Perrault s'inspirèrent de cette méthode, invoquant devant les juges crédules les défaillances si fâcheuses de leurs mémoires, qu'ils les auraient volontiers appelées Mata-Hari, tant elles les trahissaient. On consigna ces évènements dans le fameux registre des grosses bêtises : attaques à main armée, viols, assassinats, tous ces petits faits qui lorsque vous interrogez les mères des prévenus ou leurs avocats sont universellement qualifiés de grosses bêtises. Je vais me tordre de rire lorsqu'on passera au problème des pédophiles (qui constitue avec le viol et les atteintes réprimées par les articles 433-5-1 et suivants du code pénal les seules véritables frontières délimitant le champ d'application du droit pénal dans notre pays). En attendant le prochain déluge, je vois dans ce retour au réel une bonne raison de nous rendre nos limbes.


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