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Soit donc une oeuvre d'un peintre sévillan, élève de Pacheco, gendre de son maître après en avoir épousé la fille ; monté à Madrid comme chez nous on monte à Paris ; remarqué par les plus grands, recontrant en 1629 Rubens, qui lui conseille d'aller faire un voyage en Italie. C'est juste après qu'il ait peint ce tableau, mais Rubens peut l'avoir conseillé. Cette oeuvre des premières années madrilènes d'un géant de la peinture, vous l'avez deviné, Velasquez, met en scène un couronnement. Un personnage, lui même coiffé de pampre, place une couronne sur la tête d'un quidam agenouillé, appartenant à un groupe de sujets de piètre condition, vagabonds, anciens soldats, mendiants - l'un d'entre eux tente de soutirer quelque aumône à un plus malheureux que lui, qui la main sur le coeur lui assure ne rien pouvoir lui donner. Un axe vertical, médian, sépare ces miséreux d'un groupe plus restreint dont on devine qu'il sort d'un autre monde, pas de la bonne société, mais de celle qui habite les bois, à des heures et en des lieux que ne connaît pas le commun des mortels : divinités et demi-dieux, faunes, satyres, entrent en contact avec la plèbe, autour d'une bouteille dont le cadavre gît sur le sol. Chacun trinque avec ses moyens : pour les uns, un simple verre, un méchant bol, pour les autres, une coupe raffinée. Cependant, si l'on examine le niveau des regards, il est assez uniforme, et le trône du maître de cérémonie s'avère un simple tonneau. Encore un mot des visages, de ce regard niais, dirigé vers le peintre et donc vers nous, de cette franchise un peu vulgaire ; qui contraste avec le regard du couronnant, perdu dans une autre direction, et je vous propose, comme on dit à la fin d'une séance d'analyse, d'en rester là pour l'instant.
Vous avez déjà compris que nous allons osciller entre deux dimensions, autour de cet objet plus ou moins partagé qu'est le vin. L'une est sacrée, religieuse : voici une Madone de Joos de Cleve, que vous pouvez admirer au Metropolitan Museum de New York ; au premier plan la démonstration de la virtuosité du peintre flamand : les fruits, les couverts, ce verre de vin dont on ne sait l'utilité.
Sauf si l'on fait un détour par le musée des Beaux Arts de Budapest : le verre de vin, n'est pas pour Saint Joseph : il est pour le petit Jésus ! Bien évidemment vous connaissez la symbolique du vin dans la religion cathololique : le vin se transforme en sang du christ, comme le pain en corps, lors de la Cène, puis lors de la commémoration de ce dernier repas du Christ et de ses apôtres, l'eucharistie, par un phénomène que tous sont loin d'admettre dans la tradition chrétienne, la transusbstantiation.
D'un autre côté, dans un musée voisin, à Dresde, vous recontrez ce jeune Bacchus, ou Dionysos, déjà sérieusement porté sur la bouteille, se soulageant de manière synchrone avec un tonneau percé, son futur trône sans doute. Il est de Guido Reni, un peintre pourtant bien innocent, mieux connu pour ses peintures chastes et vertueuses. Comment s'est-il égaré dans ce moment de truculence ? Mystère.
D'un côté, l'enfance du Christ, la préfiguration de l'Eucharistie ; de l'autre, l'enfance de Dionysos, une tradition venue de l'Asie bouleverser le culte Apollinien héllénistique.
Un homme s'est retrouvé entre les deux, à invectiver le premier, à se reconnaître dans le second : Frederic Nietzsche, que je vous montre ici malade, hémiplégique, assisté par sa soeur, ravagé par la paralysie générale - ou une démence vasculaire, ce qui n'exclue pas une artérite syphilitique. À partir de l'age de 45 ans, plus rien de sensé ne franchira les lèvres de celui qui a écrit la vision Dynonisiaque du monde. complétant la Naissance de la tragédie chez les grecs.
Je dois vous confier un tourment que je partage peut-être avec vous.
Nous rêvons tous d'avoir des enfants plus ou moins parfaits, nous les réussissons plus ou moins bien, et ils se mettent à leur tour à faire des enfants. C'est l'occasion de savoir enfin si vous possédez l'art d'être grand-père. Un jour, à votre grande fierté, vos petites-filles qui savent que vous fréquentez les galeries d'art plus que les bistros, vous demandent : quand est-ce que tu nous emmèneras au musée ? Dans un premier temps vous ne vous sentez plus de joie. Vous les prenez par la main et en route pour une grande visite à la découverte des chefs d'oeuvre. Mais dès la première salle vous éprouvez le malaise, et vous prenez conscience du niveau de subversivité de la peinture. Devant certaines toiles, qu'est-ce que vous allez bien pouvoir répondre ? Je voudrais donc vous faire partager ces moments de doute, qui ont tous en commun, de tourner autour d'un certain degré d'imprégnation éthylique. J'ai repéré trois thèmes délicats, qui justifient le titre de mon exposé.
Premier thème : le père abusif.
Il s'agit d'un certain Loth. Toutes les toiles sont construites de la même manière : au premier plan, un vieillard et deux jeunes filles. Ici il n'y en a qu'une au premier plan, mais c'est l'exception. À l'arrière plan, une ville en flamme. Et une seconde jeune femme, franchement enceinte.
Le décor intermédiaire est soit un arbre, soit une grotte qui abrite le trio. Les jeunes femmes, au moins l'une d'entre elle, fait boire le vieillard, qui prend une pose plus ou moins éméchée.
J'ai toujours été frappé par la dissociation automatico-volontaire de Loth : il regarde le vin qui coule dans la coupe qu'il tient de la main droite pendant que la gauche folâtre. L'air de rien, il lutine l'une des jeunes femmes pendant que l'autre lui verse à boire. De temps à autre vous avez l'impression qu'on ne lui laisse par d'autre choix que de boire la coupe jusqu'à la lie. Est ce que l'on tenterait de l'empoisonner par hasard ?
Remarquez sur cette version de Wtewael, un maniériste : regardez la double résonnance, entre la main du vieillard sur le sein, et la main de la jeune femme sur la cruche ; et entre les deux seins et les deux rondeurs de la coucourde accrochée au bâton.
Tout cela fait bien rire votre marmaille, et vous tentez de faire diversion en proposant une consultation orthopédique à ce pauvre Loth dont l'avant-pied droit est un peu curieux. En fait il a déjà fait l'objet d'une réduction de métatarsus varus par chevron.
Bien, qu'allez vous répondre lorsqu'une voie innocente vous demande : qui c'est et qu'est-ce-qu'ils font ? Est ce qu'il va mourir ? Et celle qui sait lire commence à deviner qu'il se passe quelque chose de pas très catholique : ce sont vraiment ses filles ? C'est quoi Sodome et Gomorrhe ?
Difficile de cacher la vérité, elle est ici toute nue. Vous vous en tirez en expliquant : le problème avec la peinture, c'est qu'au fil des répétitions, des reprises de thèmes qui sont comme des figures imposées, il y a de l'information qui se perd. En suivant sur environ trois siècles, la représentation de cette scène, on se rend compte que l'on a perdu quelqu'un en route. Pour le prouver, vous emmenez votre marmaille à l'exposition Cranach, au musée du Luxembourg. Coup de chance, le tableau est là : en fait il en existe deux versions, qui se confortent l'une l'autre. L'important est ce qui se passe à l'arrière plan : en fait, ce sont les mêmes mais avec une personne en plus et un peu avant : la coexistence de deux scènes sur un même tableau se déroulant à deux moments différents est l'illustration dans la peinture du concept de dissémination spatiale et temporelle : sauf qu'en peinture on appelle cela la diachronie non séquentielle.
On distingue à peine cette forme que je vous ai montrée tout à l'heure : c'est une femme, une statue. Il s'agit en réalité de la femme de Loth, qui s'est retournée alors qu'on lui avait bien dit de ne pas le faire, et qui du coup a été changée en statue de sel. Voici deux sites qui postulent être le lieu de cette transformation. Ici le mont sodome, là
Vous allez me demander : mais pourquoi Loth a-t-il laissé sa femme en arrière ? Il y a peut-être un élément de réponse au musée de Beaune.
Poursuivons notre enquête : remontons dans le temps en la compagnie de Rubens : nous voyons un ange qui enjoint à toute la famille de Loth de se sauver le plus rapidement possible, car la colère divine va s'abattre sur Sodome. Monsieur Loth a l'air plutôt bonhomme, à première vue. En fait nous disposons de procès verbaux, dans la Bible et dans le Coran, qui nous présentent monsieur Loth ou Lut d'une manière moins débonnaire :
Monsieur Loth, honnête habitant de Sodome aurait été agressé par des homosexuels qui auraient exigé d’avoir des relations avec ses filles ????
Monsieur Loth leur a donné ses filles pour qu’ils en fassent ce que bon leur semble
Puis un ange est venu pour le prévenir de partir au plus vite avec sa petite famille
La consigne était de ne pas se retourner ; mais la curiosité de madame Loth l’a emporté
Vous saisissez que la problématique majeure de cet épisode de la bible et du coran est la question de l'inceste, très commenté dans la bible, et de l'homosexualité, condamnée dans le Coran.
Second thème : si vous avez le temps, faites un tour au musée de Bordeaux, qui vient de rouvrir l'aile moderne. Dans l'aile des peintures classiques, vous trouverez ce tableau que j'ai photographié il y a quelques années. Il est de Bassano. Je connais bien l'histoire de Noé parce que j'ai consacré beaucoup de temps au thème de l'arc-en-ciel en peinture.
Troisième thème : les soirées Bonga-Bonga.
Si vous avez le temps, allez vite au Palais Farnese, l'ambassade de France à Rome, qui expose les magnifiques fresques d'Hannibal Carrache restaurées. Ici, l'arrivée de Bacchus/Dionysos, dans son char tiré par des fauves, accompagné de Ménades, de Bacchantes, de Satyres, dont certains soutiennent le Silène ivre qui fut le mentor de Bacchus et désormais est porté à grand peine par un âne épuisé.
Il me faut vous raconter la naissance de Bacchus, enfin une version de cette naissance, celle qui me plait le plus. Zeus/Jupiter s'emmourache pour la xème fois d'une jeunesse, en l'occurrence la fille du roi de Thèbes Cadmos, la ravissante Sémélé. Héra Junon, l'épouse de Zeus