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Charles Bell, la douleur sur le champ de bataille (Conférences)
Charles Bell, la douleur sur le champ de bataille
Nice, le 17 novembre 2011
Congrès franco-maghrébin de psychiatrie
Mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier le comité d'organisation de cette magnifique réunion, et tout particulièrement son président, Monsieur le Professeur Dominique Pringuey, pour la confiance qui m'est témoignée. En tant que neurologue, parler de la douleur au terme d'une session consacrée au corps souffrant ajoute à l'honneur qui m'est fait.
Mon propos sera centré sur une partie du corps, le visage ; voici en passant une première rencontre avec un dessin de Charles Bell, représentant les traits de la douleur ; sur une période de temps, au cours de laquelle la théorie des passions a cédé le pas à celle de l'émotion - grosso modo, entre la fin du XVIIIe et la première moitié du XIXe ; cependant que l'on quittait les humaines passions, pour l'universelle émotion. J'ai conservé de l'enseignement reçu pendant le diplôme d'université de phénoménologie, la distinction soulignée par le Professeur Pringuey de la douleur et du douloureux ; et je tenterai d'en faire usage en chemin, précisément lorsque j'aborderai l'oeuvre de Charles Bell.
Mon exposé est organisé à partir d'un préambule, en cinq parties de six minutes, si bien que nous devrions terminer dans les temps. Le préambule concerne Louis XVI. Le matin du 21 janvier 1793, le souverain est amené place de la Révolution, actuelle place de la Concorde.
Il arrive à 10H 20, à 10h 22 sa tête est montrée au peuple. Les choses ont été menées rondement, quelques témoignages plus ou moins fiables font état d'une déclaration courageuse promptement interrompue par les aides du bourreau Samson qui dans la hâte lui tranchera la tête de travers. L'évènement choque considérablement les Anglais, et c'est un peintre britannique qui réalise ce tableau, accordant à Louis XVI le temps de dicter quelques phrases à l'abbé Firmont, que nous voyons écrire fébrilement, improvisant un pupitre avec son genou. Qu'y a-t-il sur cette demie-page ? J'ai attendu pour le savoir de lire l'ouvrage fondamental publié par Darwin en 1872, quatre-vingts années plus tard, l'expression des émotions chez l'homme et les animaux.
Louis XVI aurait posé la question, un pied sur la première marche de l'escabeau qui le menait à la guillotine : "suis-je effrayé ? Prenez mon pouls". Supposons que l'histoire soit authentique. Voici quelqu'un qui vient de quitter son épouse et ses enfants, dans l'ignorance totale du sort qui leur sera réservé ; quelqu'un dont les perspectives d'avenir sont plus que réduites ; quelqu'un qui se retrouve propulsé dans une ambiance hostile, dans un vacarme infernal - on a fait donner les tambours afin de couvrir ses paroles, et tous sont pressés d'en finir. Et ce personnage que l'on dit balourd, nigaud, et passionné de serrurerie, s'interroge sur ce qu'il ressent, s'inquiète presque de ne pas percevoir les symptômes d'une panique que chacun qui a été sensibilisé à l'abolition de la peine capitale, éprouve dès qu'il entrevoit le rituel du réveil, le col de la chemise découpé, le curé, la lecture de la sentence, les entraves, la charette, la montée des quelques marches, les dernières secondes, le déclic du couperet que l'on libère.
Cette histoire m'entraîne quasi instantanément un siècle plus tard : lorsque William James énonce sa théorie de l'émotion. Laquelle serait un état physiologique (c'est-à-dire : des frissons, des tremblements, des sueurs, la gorge sèche, des palpitations, les jambes qui flageolent, un relâchement des sphincters...), qui suit la perception, et précède un état de conscience ; et non un état mental cause de réactions neurovégétatives. Soit le contraire de ce que nous suggère le sens commun : je pense à ma famille, à une condamnation inique, je vois la guillotine, comment vais-je parvenir à monter ces quelques marches sans défaillir ?
Joseph Ledoux, le pape du cerveau émotionnel, que je vous montre ici en train de donner une conférence - je suis on ne peut plus sérieux - nous propose un schéma dans la plus pure tradition néo-behaviouriste, subordonnée à la toute-puissante théorie de l'information : l'émotion est désormais assignée à résidence, ici pour simplifier le thalamus sensoriel et l'amygdale sous-corticaux, chapeautés par le cortex sensoriel ; le stimulus émotionnel parvient au thalamus sensoriel, et à partir de celui-ci, deux voies possibles : soit l'on passe du thalamus sensoriel directement à l'amygdale par une voie basse, soit l'on transite par le cortex sensoriel, selon la voie haute, avec retour sur l'amygdale, d'où émergent les réponses émotionnelles. Et je me pose la question : comment fonctionnait le cerveau de Louis XVI ? Avait-il un défaut de réentrée des réponses émotionnelles ? Une désefférentation thalamique ? Une désafférentation amygdalienne ?
Laissons cette question en suspens, et abordons ma première réflexion, autour du passage de la surface à la profondeur, de la peau du visage à la mécanique sous-jacente. Je citerai Buffon, lequel traitant à la fois de la variété au sein de l'espèce humaine, et de ce qui fonderait son unité, écrit : « Lorsque l'âme est agitée, la face humaine devient un tableau vivant où les passions sont rendues avec autant de délicatesse que d'énergie, où chaque mouvement de l'âme est exprimé par un trait, chaque action par un caractère dont l'impression vive et prompte devance la volonté, nous décèle et rend au dehors, par des signes pathétiques, les images de nos plus secrètes agitations ».
Tableau vivant, exprimée par un trait, signes pathétiques, images... la métaphore picturale est filée d'un bout à l'autre du paragraphe, et du texte dont ce dernier est extrait. Buffon a de qui tenir : un siècle avant lui, Lebrun publie une méthode pour apprendre à dessiner les passions - un même visage, un prototype, exprime au prix de quelques coups de crayon tantôt la joie, tantôt la tristesse, tantôt le rire, tantôt la colère. Voyez la douleur d'esprit, la douleur "physique", que l'on nomme mouvement de douleur, la douleur mixte, et la compassion, qui reproduit en moins accentué les traits de la douleur vraie. On est trois siècles avant la démonstration que l'empathie recrute dans les mêmes zones que la douleur vraie.
Et un peu avant Le Brun, il y a eu Descartes : je vous montre ce buste éloquent de Descartes, dont la façade a été démontée, dans l'hypothèse d'une mécanique sous-jacente : cette oeuvre malicieuse a été réalisée par le collaborateur de Charcot, Paul Richer, l'auteur de la petite statuette parkinsonienne, et des illustrations fameuses de sa thèse sur la grande attaque d'hystérie.
La dernière oeuvre de Descartes est le Traité des Passions. C'est de toute la nature de l'homme qu'il s'agit, et je vous rappellerai seulement que Descartes fait dériver toutes les passions d'une seule, l'admiration, par une série de différenciations que je vous invite à relire. Les passions chez Descartes sont des modifications corporelles de l'ordre du mouvement : ces mouvements font signe, selon deux modalités : d'une part des symptômes, dans le registre du corps, involontaires, dont les manifestations au niveau du visage par exemple se nomment expression, et qui ont valeur de vérité : on ne peut feindre la pâleur de l'effroi ni la rougeur de la confusion. D'autre part des indices, au sens de Peirce, dans le registre de l'âme : mais ici les manifestations, la mimique, sont accessibles à l'action de la volonté, et il est loisible de feindre une passion alors que l'on en éprouve une autre, et nous avons quelques exemples récents de tartufferie.
Voici un portrait de Descartes par le peintre hollandais Franz Hals. Et un enfant par le même artiste, rieur, plein de vie. Le sang afflue et colore son visage. Tandis que cette jeune femme qui apprend une triste nouvelle pâlit sous le pinceau de Gabriel Metsu, autre peintre virtuose du siècle d'or. Nos traits trahissent nos passions. Voici une visite du docteur comme en compte par dizaines la peinture hollandaise : dans cette version de Hoogstraten, la patiente au premier plan semble nous dire, si l'on prend la peine d'une lecture contextuelle : mais ces deux-là n'y comprennent rien. D'autant plus que, procédé typique du genre, un tableau dans le tableau que je ne peux malheureusement faute de résolution agrandir nous montre Vénus alanguie auprès de deux Putti. Bien entendu il s'en est trouvé parmi les aficionados de la médecine rétrospective pour ne plus voir que la pâleur de la jeune femme et en faire une anémique.
Les passions de l'aveu même de Descartes sont constitutives de la Nature de l'homme. Et voici que l'on décide qu'elles sont pathologiques. Voyons ensemble ce deuxième moment de mon exposé où nous remontons des profondeurs vers la surface. L'un des premiers à dénoncer sans ambages les passions comme une maladie de l'âme est Kant : qui définit dans un premier temps la passion comme « l'inclination (désir habituel) que la raison du sujet ne peut pas maîtriser ou n'y parvient qu'avec peine" : prenons l'exemple du jeu, le joueur pathologique éprouve une passion pour le jeu que sa raison ne parvient pas à contrôler. L'émotion est "un sentiment d'un plaisir/déplaisir actuel qui ne laisse pas le sujet parvenir à la réflexion". Je mangerai ce gâteau jusqu'à la dernière miette bien que ma raison me fait déduire que je vais prendre trois kilos. Je fuis la perspective d'une visite chez le dentiste bien que je risque d'y laisser ma mâchoire.
Je voudrais illustrer ce moment de l'histoire des passions, où elles sont devenues causes de l'aliénation, par l'histoire de Géricault. Théodore Géricault, alors qu'il n'avait pas trente ans, s'est lancé dans une toile gigantesque, le radeau de la Méduse, qui lui a demandé deux ans de travail acharné, quarante-neuf esquisses, aboutissant à une oeuvre dont l'importance historique est capitale, à la fois sur le plan esthétique et sur celui de la peinture engagée : il s'agissait d'illustrer un fait divers qui fit scandale.
La tâche épuisa Géricault, mais ce n'eût été qu'un désagrément, si la critique ne l'avait pas éreinté, lors du salon de 1819 : « M. Géricault semble s’être trompé. Le but de la peinture est de parler à l’âme et aux yeux, et non pas de repousser ». Il s'ensuivit une période confinant au désespoir, et une prise en charge par un jeune disciple de Pinel et d'Esquirol, nommé Georget, dont je ne puis vous montrer le portrait.
Rappelons qu'en 1805, Esquirol a fait paraître Les passions considérées comme cause, symptôme, et moyen de la maladie mentale. Il faut comprendre la portée de ce titre : les passions (la joie, la colère, la tristesse, l'amour, l'envie, la douleur...) sont à la fois la cause des maladies mentales et leurs symptômes. D'autre part, Georget croit dur comme fer à la physiognomonie : on peut lire l'aliénation sur les traits du patient. Cette pratique, connue depuis l'antiquité, popularisée par Della Porta au XVIe et Lavater au XVIIIe siècle, connaîtra un développement particulier avec les théories de Lumbroso. Elle est l'équivalent au niveau du visage de la phrénologie au niveau du crâne.
Georget, inventant par là l'art-thérapie, demande à Géricault de faire le portrait de dix aliénés, de dix monomanes selon la terminologie alors proposée par Esquirol. Il nous reste cinq tableaux, que je vous présente rapidement : la monomane de l'envie, dite la hyène de la Salpétrière, exposée au Louvre ; la monomane du jeu, à Lyon ; le monomane du vol, ou kleptomane, à Gand ; le monomane du commandement militaire, à Wintertur ; le monomane du vol d'enfant, le kidnappeur, à Springfield. De quoi est-il question ? Fondamentalement, de nous convaincre que ce portrait-ci, par exemple, nous permet de poser le diagnostic de monomanie du jeu. En quoi les traits de cette personne caractérisent-ils une joueuse ? Ceci m'est incompréhensible, mais tout le monde, dans l'entourage de Georget et d'Esquirol, en était convaincu. Une version aliéniste début XIXe des habits neufs de l'empereur. Pour clore le sujet, figurez vous que Michel Borg m'a appris tout récemment qu'un de nos confrères neurologues s'est mis en tête d'y voir le premier portrait d'une patiente parkinsonienne - trois ans après la description par Parkinson de la paralysie agitante. Même scepticisme de notre part.
Abordons maintenant le troisième moment de notre propos : la question du lien entre l'âme et l'expression du visage. "L'âme est donc la source de l'expression ; c'est elle qui met en jeu les muscles et qui leur fait peindre sur la face, en traits caractéristiques, l'image de passions. En conséquence, les lois qui régissent l'expression de la physionomie humaine peuvent être recherchées par l'étude de l'action musculaire." Ces mots, qui pourraient être de Buffon, n'était l'intrusion des muscles, sont de Duchenne de Boulogne, pionnier de la nosographie des maladies neuro-musculaires, et passionné par deux nouvelles techniques : l'électricité médicale et la photographie.
Se fondant sur la connaissance des ramifications des nerfs faciaux, élaborée en particulier par Charles Bell, descripteur entre autres de la paralysie faciale, il entreprend de reproduire expérimentalement - nous sommes au temps de Claude Bernard, père de la médecine expérimentale - toutes les physionomies humaines, expression des passions dont la liste s'est allongée depuis Descartes et Hume, au moyen d'électrodes.
Je vous montre quelques exemples : le sourcilier est le muscle de la douleur ; ajoutez le petit zygomatique, et vous obtenez presque le tic douloureux de la face de Trousseau - que l'on observe lors des névralgies trigéminées. Il demande à un acteur d'exprimer la douleur avec son hémiface droite, et l'extase avec l'hémiface gauche. Pour l'effroi, l'aide d'un assistant est nécessaire : il faut quatre électrodes. Il conclue : "En résumé, je ferai connaître par l'analyse électrophysiologique et à l'aide de la photographie l'art de peindre correctement les lignes expressives de la face humaine, et que l'on pourrait appeler orthographe de la physionomie en mouvement." La contraction d'un muscle est une lettre, la combinaison des contractions dont résulte l'expression est un mot, qu'il faut lire : colère, effroi, tristesse, envie... Les manifestations des passions sont un langage dont il faut débrouiller le code, à l'image de Champollion. Nous sommes en 1862, dix ans avant la parution de l'ouvrage de Darwin, qui cite expressément Duchenne.
Ma quatrième réflexion sera brève : car elle est l'objet d'un travail à paraître de Frédéric Jover, et ceci est à prendre comme une invitation à le lire et à l'écouter, au sujet d'un artiste très singulier, Franz-Xaver Messerchmidt, né en Bavière, mais sculpteur à Vienne.
Ceux d'entre vous qui sont passés par le château du Belvédère ont remarqué ces sculptures incroyables. En un mot, dans une atmosphère pathologique que disséquera Frédéric Jover, cet artiste réalise une galerie de têtes que vous voyez ici rangées sur cette gravure, semblant dessiner un spectre - je préfère ce mot à celui de continuum - depuis une attitude rigolarde jusqu'à des postures franchement sinistres. Et puis on réalise qu'en fait, nombre de ces bustes n'étaient que des exagérations de contractions musculaires très improbablement porteuses de sens : un peu comme des néologismes, dont un poète trufferait sa production. Si celui-ci évoque une odeur nauséabonde, et celui-là un goût infect, et cet autre un chagrin ou une douleur insupportables, que peut bien signifier cette moue ?
Cette table de vérité très sommaire résume ce que je vous ai soumis : la passion peut être authentique ou non, l'expression adéquate ou non. La momie sans nom qui a tant fait couler d'encre est le prototype de l'expression adéquate d'une douleur authentique ; l'acteur Jack Nicholson n'éprouve pas, nous l'espérons, la haine qui anime le personnage du Joker mais il l'interprète à merveille ; celui ou celle qui portera ce masque peut éprouver une passion authentique dissimulée par ce masque de bauta. Enfin, la production de mimiques improbables peut sembler sans lien avec une quelconque passion et c'est ce que déchiffrera Frederic Jover.
Il est temps de parler de Charles Bell. Un chirurgien écossais, anatomiste, essayiste, et artiste. Auteur d'une Anatomie et Philosophie de l'Expression en rapport avec les Beaux-Arts dont les rééditions ne se comptent plus.
Début 1809, pendant la guerre d'indépendance de l'Espagne, l'armée anglaise est battue à La Corunna par l'armée française et doit faire retraite, dans des conditions terribles, on l'appellera la marche de la mort, avec des pertes effroyables. Parmi les médecins qui recueilleront les blessés à leur retour en Angleterre, se trouve Charles Bell.
Il observe un soldat anglais atteint du tétanos ; il fait un croquis puis un tableau où sont représentés avec une précision remarquable, outre l'intensité dramatique, non seulement l'opisthotonos, mais aussi le trismus, le rictus sardonique, tous deux caractéristiques de cette maladie dont on ignore tout des causes en 1809. Je m'arrête un instant sur le rictus sardonique : ainsi nommé, je parle sous l'autorité de Georges Serratrice, parce qu'il existe une renoncule toxique en Sardaigne qui provoque le même genre de contraction. En fait, cette expression à laquelle nous accordons une signification de souffrance extrême, ou de cynisme absolu, selon le contexte, est la conséquence d'une action spécifique d'une toxine sur tel et tel muscles plutôt que d'autres, et non d'une action nerveuse - quoiqu'il soit possible de l'observer, mais non systématiquement, au cours de la maladie de Wilson. Tout ceci, Charles Bell ne pouvait le connaître. Ce soldat anonyme, tous ici le connaissent comme le prototype de l'opisthotonos.
Quelques années plus tard, le 18 Juin 1815 a lieu la bataille de Waterloo. Charles Bell s'est précipité de Londres à Bruxelles et soigne sans répit les blessés. Il se trouve parmi eux des allemands, des français... Cette fois-ci chaque aquarelle est accompagnée d'un nom. Ce bras a été arraché à une personne, cette souffrance exprimée sur le visage est bien celle d'un homme singulier. Comme cet éventré, ce blessé à la plaie crânienne, et cet autre, et ces postures d'une autre avulsion du membre supérieur, ce traumatisé du thorax épuisé, ce traumatisé du crâne avec une plaie craniocérébrale, probablement agonisant.
Par-delà son immense talent d'anatomiste, entre la bataille de la Corogne et celle de Waterloo, Charles Bell aquarelliste de bataille nous a fait passer de la douleur au douloureux. C'est un moment unique, où l'on bascule du symptôme et de la mécanique de son expression, à la personne souffrante saisie nous venons de le voir dans différents moments de cette souffrance, jusqu'à l'agonie. Charles Bell est le témoin de la souffrance de ces hommes qui probablement ne pouvaient plus ou ne pouvaient pas parler. Il écrit cette phrase très riche : l'expression est à la passion ce que le langage est à la pensée.
Plus tard, poursuivant ses études anatomiques, il précisera la singularité humaine de l'appareil musculaire de la face : "le depressor anguli oris, (le muscle, triangulaire, abaisseur de l'angle de la bouche) un muscle que je n’ai trouvé chez aucun autre animal... il produit cette incurvation de la lèvre si expressive du mépris, de la haine, de la jalousie."
Un demi-siècle plus tard, Duchenne de Boulogne n'est en rien préoccupé par cette dimension. Encore dix ans, et ce sera la seconde révolution que nous devons à Darwin : celle de l'universalité des émotions.
Ce singe est tantôt placide, tantôt menaçant. Il adopte la même physionomie qu'un chien dans une condition analogue.
Et le cygne en danger gonfle ses plumes, come le chat ébouriffe son poil. Le chien dispose d'une palette d'émotion qu'il exprime de manière intelligible. Désormais, et même si Charcot continue à utiliser le terme passion - rappelez-vous les attitudes passionnelles qui font toute la singularité de la grande crise hystérique - l'émotion remplacera cette dénomination désuète.
Un seul résiste pour le moment à cette universalisation de l'émotion : le furieux enchaîné dessiné par Charles Bell qui lance à Darwin désespéré depuis la perte de sa fille bien-aimée un regard chargé de reproche : pourquoi m'as-tu oublié dans ma singularité ?
Je vous remercie de votre attention