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Le bouc émissaire de William Hunt (notre arc-en-ciel quotidien)

 
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William Holman Hunt The Scapegoat

  William Holman Hunt conçut le projet du  Scapegoat pendant son premier séjour en terre sainte, en pleine guerre de Crimée, alors qu’il réunissait des informations sur les rituels hébraïques pour The Finding of the Savior in the Temple. Il apprit l’existence d’une coutume, selon laquelle à l’occasion du jour du Grand Pardon, un bouc choisi parmi deux était chassé du Temple, un morceau de tissu ou de ruban écarlate accroché sur la tête, entre les cornes, envoyé soit au bord d’un précipice, et jeté dans le vide, soit dans le désert, chargé des péchés de tous, non sans avoir été en chemin harcelé par la foule vociférant « Hasten, emporte au loin nos péchés ». Le pardon divin accordé devait changer la couleur du chiffon et le rendre blanc selon la prophétie d’Isaïe « bien que vos péchés soient écarlates, ils seront aussi blanc que la neige ; bien qu’ils soient rouges comme le crimson, ils seront comme de la laine ». L’analogie avec la passion du Christ était évidente pour Hunt, qui inscrivit sur le cadre de la toile réalisée en 1854 les citations du Lévitique :

'Surely he hath borne our Griefs, and carried our Sorrows/Yet we did esteem him stricken, smitten of GOD, and afflicted.' (Isaiah LIII, 4)
'And the Goat shall bear upon him all their iniquities unto a Land not inhabited.' (Leviticus XVI, 22) .

    Hunt explique son projet dans une lettre adressée à Combe, et semble avoir compris dans un premier temps que le bouc émissaire portait sur le front la marque des mains ensanglantées par le sacrifice de son congénère.

21 And Aaron shall lay both his hands upon the head of the live goat, and confess over him all the iniquities of the children of Israel, and all their transgressions in all their sins, putting them upon the head of the goat, and shall send him away by the hand of a fit man into the wilderness:
22 And the goat shall bear upon him all their iniquities unto a land not inhabited: and he shall let go the goat in the wilderness.
23 And Aaron shall come into the tabernacle of the congregation, and shall put off the linen garments, which he put on when he went into the holy place, and shall leave them there:
24 And he shall wash his flesh with water in the holy place, and put on his garments, and come forth, and offer his burnt offering, and the burnt offering of the people, and make an atonement for himself, and for the people.
25 And the fat of the sin offering shall he burn upon the altar.
26 And he that let go the goat for the scapegoat shall wash his clothes, and bathe his flesh in water, and afterward come into the camp.


    Le décor choisi par Hunt est désolé, inspiré par le rivage de la mer Morte à Osdoom, les montagnes d’Edom (où l’on pensait alors que se dressait autrefois la ville de Sodome) se devinant à l’arrière-plan. Prendre des notes, faire des croquis et poser les couleurs du soleil couchant prirent deux semaines et bien qu’ayant amené un bouc blanc sur les lieux du drame après quelques tentatives insatisfaisantes il ne peignit l’animal qu’une fois rentré dans son atelier à Jérusalem, non sans avoir récolté quelques échantillons de la boue et du sol salé pour travailler le sol au niveau des pieds de l’animal. Il fit l’acquisition d’un squelette de chameau, et de crânes de boucs, et délibérément plaça la pièce de tissu rouge de telle sorte que l’on évoquât immédiatement la couronne d’épine du Christ. Dans son journal Hunt insiste sur l ‘exactitude du moindre détail, la limite du rivage, les troncs d’arbre mort, les ossements à demi engloutis dans la saumure. Commencé au mois de Novembre, l’œuvre était achevée vers le mois de Juin 1855 trop tard pour être exposée à la Royal Academy, avant l’année suivante ; le cadre dessiné par Hunt lui-même est chargé de symboles : sept étoiles – peut-être celles qui tomberont sur la terre le jour du jugement dernier, un chandelier à sept branches évoquant la loi Mosaïque, une colombe tenant un rameau d’olivier rappelant la fin du Déluge, et une « étoile de Bethléem », une fleur à quatre pétales, que traitera plus tard Burne-Jones.  L’accueil de la critique fut mitigé, Ruskin écrivant dans ses notes que « ce tableau singulier, réussi d’un certain point de vue et raté d’un autre, est cependant le seul de toute l’exposition à nous donner à penser » . Plus loin, il précise que regardée comme un paysage ou une composition, l’œuvre est un échec total, et que dans son désir earnest de représenter un bouc émissaire, « il a oublié de se poser la question première, à savoir s’il était capable de peindre une simple chèvre ». Le commentaire de  Ford Madox Brown est plus indulgent et ne sacrifie pas une amitié au plaisir de sortir une bonne phrase : il faut voir The Scapegoat « pour comprendre comment, par la puissance du talent, d’une vieille chèvre et de quelques incrustations salines l’on peut tirer l’une des oeuvres les plus poignantes et les plus tragiques de l’Histoire de l’Art ». La toile fut acquise pour 450 guinées par B.G. Windus.

    L’autre version, débutée quasi-simultanément, comme une esquisse en fait, de dimensions plus petites ( contre 85,7 x 138,4 cm), fut achevée des années plus tard. Elle comporte un bouc noir et un arc-en-ciel symbolisant certes l’espérance et le pardon des péchés, mais aussi une perception bien réelle et relatée dans ses carnets de voyage par l’un des compagnons de Hunt, le Révérend William Beamont : « sur notre droite se dressaient les flancs rocheux d’Usdam, lorsque soudain comme pour parachever la magnificence de la scène, un arc-en-ciel ample et presque parfait, un pied posé sur le mont Usdam, l’autre sur Kerak, se déploya dans l’espace vide et désolé au dessus de la rencontre de la mer et de la terre, symbole de l’alliance du Dieu de miséricorde, à l’aplomb du lieu-même où il déchaina sa colère la plus mémorable» . Le révérend fait allusion à la destruction de Sodome et Gomorrhe.
   
    La version à l’arc-en-ciel comporte encore un squelette de dromadaire, au pied de l’arc, et les cornes sont celles d’un Ibex du Sinaï, prétées (lent) pour l’occasion. La tête est entourée d’une sorte de halo formé par la réflexion de la pleine lune. Les couleurs de l’arc-en-ciel rouge, jaune et violet accentuent l’effet crépusculaire. Le sol est plus travaillé que sur le grand format, peut-être consécutivement aux remarques de Ruskin. Le bouc mort représente peut-être l’autre bête qui a été sacrifiée au temple, ou tout simplement celui de l’année précédente. Au  bouc noir «  Azazeel » de la version à l’arc-en-ciel succède dans la version exposée à l’Académie le bouc blanc dont la couleur est mieux accordée à l’intention du peintre d’insiter sur l’analogie entre le bouc émissaire et le Christ. L’arc-en-ciel devient alors incongru, voire anachronique, tandis que sa présence lors de la simple représentation de la tradition du sacrifice du bouc émissaire, tirée de l’ancien testament et sans référence à la Passion du Christ, symbolise la présence divine miséricordieuse. Le « petit » scapegoat fut vendu en 1859, à David Thomas White qui le céda au même Windus acquéreur du premier.