Neuroland-Art

http://www.bkneuroland.fr/

Le Printemps de Jean-François Millet (notre arc-en-ciel quotidien)

milletprinto.jpg

Jean François Millet (1814-1875)  Le printemps, 1868-73, musée d’Orsay

    Aujourd'hui c'est la fin du printemps, quoi de plus joli qu'un bel arc-en-ciel pour lui dire à l'année prochaine ? Au passage, un salut amical au site de "la maison-blogue de Grillon du Foyer" qui semble apprécier les météores.


L’Ecole de Barbizon


    C’est à l’épidémie de choléra qui sévit à Paris en 1849 que le petit village de Barbizon doit d’être sorti de l’anonymat auquel sa situation en lisière de la forêt de Fontainebleau le prédestinait naturellement : Jean-François Millet s’y installa fuyant les miasmes de la capitale, retrouvant ses racines paysannes après avoir goûté au succès l’année précédente en exposant au Salon de 1848 le Vanneur, acquit par Ledru-Rollin, ministre de l’intérieur de la République nouvelle, et en recevant commandes du gouvernement. Barbizon abritait depuis 1825 une petite colonie de peintres plus ou moins autodidactes.

    Millet impose aux salons successifs auxquels il continue d’envoyer ses œuvres une vision réaliste par le style et dramatique par le sujet, de la terre et de ses travailleurs qui enthousiasme Zola et soulève le cœur de Baudelaire ; on imagine mal en effet le Dandy des Fleurs du mal, les guètres plantées dans la boue d’une cour de ferme, sous un ciel sale comme de la glaise, entre une vache vélant et une paire de glaneuses, au milieu des crétins qui « étalent une manière d’abrutissement sombre et fatal qui me donne l’envie de les haïr ». Nonobstant l’hostilité de la critique Millet persévère et la Bergère gardant ses moutons (1864) puis et surtout l’Angelus (1865)  le consacrent. Un peu moins de pieds crottés, un peu plus d’ordre dans le vêtement et un joli bonnet ; un peu moins d’harassement, de souffrance de bête enjouguée et un peu plus de résignation, de soumission acceptée dans l’expression, faisant passer ces brutes du statut d’esclave, de serf, à celui de travailleur, de serviteur satisfait voire fier de son sort, suffiraient-ils pour attirer la faveur des amateurs ?

    Le printemps est exécuté quelques mois avant sa mort. Les personnages et leur panoplie d’accessoires misérabilistes ont disparu – à l’exception d’une minuscule figure humaine que l’on peine à discerner au pied d’un.. La nostalgie (Ô espaces qui m’avaient tant fait réver lorsque j’étais enfant me sera-t-il jamais permis de vous faire seulement soupçonner !) et l’espérance du lecteur de la Bible et de Virgile, (le vieil orme qui avance en âge comme lui, tel l’habitacle d’une hamadryade cf syrinx) transparaissent avec les troncs voutés et effeuillés sous le poids des ans,  au premier plan, et l’arc-en-ciel, double, à l’aplomb de ce dernier.

    Le systême esthétique de Zola est construit autour des notions d’Écrans classique, romantique ("L'écran romantique est une glace sans tain, claire, …..colorée des sept nuances de l'arc-en-ciel") et réaliste, au travers desquels l’artiste perçoit la réalité. le naturalisme ajoute à la description précise et exhaustive du réalisme la subjectivité du peintre. Zola prédit le triomphe de ce mouvement dont les précurseurs sont Corot et Théodore Rousseau ; Millet, « troisième héros de la lutte », est perçu par Zola de manière mitigée : Si les paysans de Courbet, peintre socialiste, sont les victimes de la Société, ceux de Millet le républicain, sont les esclaves de la Nature. La position de l’auteur de l’Oeuvre est changeante : dans la Terre Millet est cité à son avantage ; mais Zola l’éreinte dans son compte-rendu du Salon de 1866 : « Cette année je me suis trouvé devant une peinture molle et indécise. On dirait que l'artiste a peint sur papier buvard et que l'huile s'est étendue. Les objets semblent s'écraser dans les fonds. C'est là une peinture à la cire qu'on a chauffée et dont les diverses couleurs se sont fondues les unes dans les autres. Je ne sens pas la réalité dans ce paysage. Nous sommes au bout d'un hameau, et, brusquement, l'horizon s'élargit. Un arbre se dresse seul dans cette immensité. On devine derrière cet arbre tout le ciel. Eh bien ! je le répète, la peinture manque de vigueur et de simplicité, les tons s'effacent et se mêlent, et, du coup, le ciel devient petit et l'arbre paraît collé aux nuages». Emile Zola, Lettres de Paris.