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La mélancolie I par Dürer (notre arc-en-ciel quotidien)
Melancolie I (1514 Brooklin Muséum)
L’Ange mélancolique de Dürer est assis, le regard perdu dans ses pensées, prisonnier de son imaginaire, replié sur lui-même, les cheveux ceints d’une couronne florale, le visage renfrogné soutenu par sa main gauche, la droite tenant sans conviction un compas. Les fleurs ont été identifiées : cresson et renoncule d’eau dont la nature aquatique aurait des effets bénéfiques sur la sécheresse du tempérament atrabilaire. Cette figure asexuée n’est pas sans rappeler la Géométrie illustrant l’œuvre de George Reich, la Margarita Philosophica publiée en 1504. A ses côtés un angelot tenant une clé est perché sur une sorte de meule de pierre circulaire dont le centre est creusé pour y placer un moyeu. A la gauche de l’angelot, est posé un volumineux bloc de pierre taillé, en forme de polyèdre, un rhomboïde tronqué pour Panofsky, un Octahedron pour Federico…Ce type de volume complexe appartenait à l’arsenal des instruments de mesure des architectes. On retrouve sur Les Mesures exposé au Musée d’Histoire des Sciences la plupart des outils dispersés dans la gravure de Dürer.
A l’arrière plan on distingue à gauche une étendue d’eau, sur le rivage à droite un village côtier se devine, ainsi qu’une barque échouée sur la gauche derrière l’énigmatique polyèdre. Le ciel est occupé par un arc-en-ciel, en dessous duquel semble passer une comète irradiant mille rayons de lumière, et une chauve-souris dont les ailes déployées portent une bannière sur laquelle est inscrit : MELENCOLIAE. Dürer a assisté en 1512 à Bâle au passage d’une comète. La chauve-souris, animal nocturne symbolise encore la mélancolie.
La partie droite du paysage est masquée par une construction, aux murs desquels sont accrochés un sablier, une cloche, une balance ; un carré magique est gravé sur l’un des murs. La somme des chiffres de chaque ligne ou colonne est invariablement 34, comme la somme des chiffres de chaque cadran et des quatre chiffres du centre du carré, dit de Jupiter. Jupiter gouverne le tempérament sanguin, lequel s’oppose à l’atrabile : ce carré est une sorte de thérapeutique, administrée afin de réduire l’effet de la bile noire qui corrompt la méditation de l’ange saturnien. Les chiffres 15 et 14 indiquent la date de la réalisation de l’œuvre (1514), qui est aussi la date de la mort de la mère de l’artiste, qu’il avait à charge, malade et aveugle, depuis la disparition de son père en . Derrière l’Angelot une échelle est dressée dont l’inclinaison la fait reposer sur la facade invisible de la construction.
Au pieds de l’ange dort un chien, lequel flanque le philosophe dans nombre de représentations. Le sol est jonché d’objets : un rabot, une scie, des systêmes de mesure, une sphère.
Peu d’œuvre ont été autant que cette gravure l’objet d’interprétations : d’après Conrad Hoffmann, elle pourrait représenter la crainte d’un nouveau déluge, l’arc-en-ciel surplombant la mer ferait allusion à l’inondation biblique…et pourrait être un signe d’espoir…Manque cruellement la lecture que Dürer aurait pu laisser, mais la seule indication qui émane de l’artiste est une phrase figurant sur l’esquisse de l’angelot actuellement conservée au British Museum : La clé signifie la puissance, la bourse la richesse.
Une allégorie est la personnification d'une idée par une figure dotée d'attributs symboliques. L’un des thèmes de prédilection de l’allégorie est au Moyen-Âge la représentation des Arts Libéraux : la Grammaire, la Rhétorique sous les traits de Cicéron, tenant un stylet et une tablette de cire ; la Dialectique figurée par Aristote. Le personnage central de la Mélancolie, l’ange ailé de la gravure figure la Géométrie, tenant le compas ,L’arithmétique est illustrée par ; la musique est défendue par Pythagore, l’inventeur du nombre d’or et frappant des cloches. L’Astrologie tient un cadran solaire.
Les influences complexes assimilées par Dürer, en Italie, dans les pays Rhénans et Néerlandais, ont fait de lui l’un des artisans majeurs de la Renaissance dans les pays du Nord. Il est protégé par l’empereur Maximilien Ier, puis à la mort de ce dernier gagne la cour de Charles Quint aux Pays Bas en 1520 où il rencontre Erasme, Quentin Metsys, Joseph Patinir, (Bernard) Van Orley ; surgissent la Réforme (1519) , les révoltes paysannes, et Dürer prend parti pour Luther. En même temps il poursuit ses recherches en mathématiques et publie en 1525 un traité de géométrie des polyèdres, Unterweisung der Messung mit dem Zirkel und Richtscheit .