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La rentrée des troupeaux par Brueghel (notre arc-en-ciel quotidien)

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Peter Brueghel l’Ancien (1525/30 –1569)
La rentrée des troupeaux (1565)
Huile sur bois de chêne 117 x 159 cm
Vienne, Kunsthistorishes Museum Wien


    On ne sait presque rien de la formation initiale de Peter Brueghel l’Ancien (1525/30 –1569), car il apparaît pour la première fois en 1551, date à laquelle il fut admis comme maître indépendant à la guilde de St Luc, laquelle rassemblait les peintres d’Anvers. Mander (1548-1606) auteur du « livre des peintres », équivalent flamand des « vies des peintres » de Vasari, indique qu’il aurait été l’élève de Pierre Coeck d’Alost (peintre à la cour de Charles Quint établi à Bruxelles depuis 1544), mais il paraît plus probable que Coeck lui aurait offert son amitié paternelle et l’aurait initié à l’humanisme plutôt qu’à la peinture.

    On compte aujourd’hui 45 tableaux de lui, dont 14 sont à Vienne.

    La scène se passe en Automne, sans doute bien avancée si l’on observe les branches effeuillées, lorsque les couleurs de la nature tendent vers les tons ocres, roux et bruns, et terre de Sienne. Les vêtements des paysans et les robes des vaches n’échappent pas à cette tonalité et le jour que l’on devine déclinant, le ciel chargé de nuages accentuent la fusion des teintes au point qu’il est difficile de distinguer sans effort certains personnages ; un pan de prairie dans l’ombre en contrebas du chemin, en arrière-plan du vacher à la longue gaule, pourrait être confondu avec le dos beige d’un des bovidés. Troupeau et bergers avancent péniblement sur le chemin étroit et pentu, le métayer sur son cheval paraît aussi fourbu que sa bête. Un oiseau est perché dans un arbre nu, solitaire à l’aplomb du troupeau, figure brueghelienne rencontrée régulièrement au sommet d’un gibet, sur une roue encore décorée du haillon d’un supplicié, témoin immobile du froid abattu sur une campagne blanche ou des jeux des patineurs, ou les chasseurs dans la neige.

    L’identification du lieu a été l’occasion de supputations: les rives du Rhin pour certains, ou encore et plus probablement  le retour des alpages inconnu bien entendu aux Pays-Bas et que Brueghel a observé lors de son périple en Italie, parcourue après son passage bref mais déterminant par l’atelier de Jérôme Cock qui éditait et reproduisait des estampes d’après Jérôme Bosch, à Anvers. Confronté à la nature (italienne), il acquiert une maîtrise du trait et un convaincant rendu des paysages marins tout comme la représentation des paysages montagneux avec leurs forêts et leurs vallées escarpées que l’on retrouvera par la suite dans ses peintures et qui participeront à l’originalité de son œuvre.

    Ce tableau s’inscrit dans un cycle de six autres représentant les saisons de l’année. Cette série resta une énigme pour les spécialistes de Brueghel . Reprenant les enluminures des calendriers, à l’époque des manuscrits, on voit apparaître à la fin du XVI éme ??? , le thème cyclique des mois de l’année ; ce sont généralement des séries de douze tableaux, qu’il convient de distinguer des quatre saisons, également souvent représentées. A l’époque de Brueghel, il existait une variante en six volets, correspondant à un découpage accepté en six saisons. Il semble qu’il ait peint ce cycle comme une sorte de frise pour la décoration d ‘une salle de la résidence de Jongelinck (riche marchand, familier du cardinal de Granvelle, grand collectionneur).

    Il faut s’approcher très près du tableau et scruter la masse sombre des nuages  pour apercevoir comme une sorte de trait déchirant le ciel, l’arc-en-ciel, dont on s’interroge sur la signification purement naturelle, météorologique, témoignant simplement de l’averse récente ou annonçant  – c’est la première occurrence, à quelques enluminures près, d’un arc-en-ciel entièrement dégagé de toute connotation spirituelle religieuse ou mythologique, un demi siècle après Pinturrichio. Rentré à  Anvers en 1555, Brueghel  confie à Cock l’édition d’une série de douze estampes (« série des grands paysages), marquant sa première véritable période de création, et se lie avec Abraham Ortelius, géographe, qui, avec le cartographe Mercator avait considérablement modifié la vision du monde de ses contemporains.

    L’originalité du travail de Brueghel, par rapport aux cycles habituellement représentés, tient à l’unité de chaque tableau : ici , que ce soit du point de vue de la couleur déjà développé, du mouvement des corps et des nuages et de l’eau dans le fleuve en contrebas, de l’expression de lassitude générale, des hommes et des bêtes comme de la nature prête à hiberner, un même principe soutien l’ensemble, non pas métaphysique, sinon peut-être l’idée d’une soumission à la progression inexorable des forces (de l’automne), encore moins mystique, certainement pas matérialiste, mais poétique, fruit d’un travail conceptuel d’une intensité saisissante.
 
    Brueghel est considéré comme un intellectuel, idéaliste, ayant violemment réagi contre la politique néfaste de Philippe II en Flandres. Se mêlant souvent au peuple, habillé en paysan, lors des fêtes et kermesses, il a vécu les scènes pittoresques représentées ensuite dans ses tableaux. Son langage pictural est spontané et direct, il émane de la réalité quotidienne dont il est l’expression intuitive et synthétique. Ceci explique peut-être que les influences soient rares dans ses œuvres, Bosch l’ayant  inspiré pour  certains de ses thèmes, mais sa vision est plus directe et moins onirique. D’autre part, malgré son passage en Italie, il semble ignorer les leçons des italiens. La couleur et la lumière l’aident à réaliser ses tableaux , elles créent également des contrastes lorsqu’il oppose une scène tragique à un paysage inondé de lumière claire et transparente    ; il crée son univers par la rencontre des tons différents et l’opposition des silhouettes.