L’arc-en-ciel et le sublime
Introduction
« Cet arc-en-ciel qui nous étonne,
Quand il se lève après la pluie,
S´il insiste, il fait monotone
Et l´on se détourne de lui.
L´adage a raison : la meilleure
Chose en traînant se dévalue
L'arc-en-ciel qui dure un quart d'heure
Personne ne l'admire plus.
L'arc-en-ciel qui dure un quart d'heure
Est superflu. ».
George Brassens, l’arc-en-ciel
Le chanteur avait des lettres, l’avant-dernier vers est de Goethe, qui semblait ignorer, à moins qu’il n’y ait quelque perfidie dans ce propos, les peintres de paysage qui fixaient le météore pour l’éternité sur la toile, leur chevalet dressé en pleine nature. Et avoir oublié les arcs développés dans la bruine des chutes de Terni ou de Tivoli, qu’il avait visitées lors de ses escapades italiennes. Bien avant cela, Paul Bril est probablement le premier peintre à saisir un arc-en-ciel double surplombant les sources du Styx. Le météore, éphémère présage lorsqu’il annonce la fin de l’orage, auprès d’une cascade acquiert une quasi-consistance à force de se maintenir. Il pose pour l’artiste, se laisse apprivoiser et s’impose dans sa majesté comme un ornement flottant entre ciel et terre, entre naturel et surnaturel. Il confère sa lettre de noblesse au paysage, ce genre mineur jusqu’à ce que sous l’impulsion des peintres de plein air il s’émancipe, d’abord héroïque, puis romantique, enfin sublime. Comment l’arc s’est-il installé au premier rang des symboles picturaux d’un concept aux origines complexes et développé à son terme par Emmanuel Kant, telle est l’histoire que nous débutons par quelques fontaines et cascades, entre artificialia et mirablia.
Bril Paul (1554-1626) et Peter Paul Rubens (1577-1640) Paysage avec Psyché 1610 Musée du Prado
Une rumeur laissant entendre qu’il n’était pas l’auteur des paysages présents sur ses tableaux, Rubens piqué au vif en réalisa lui-même une série sans recourir à son atelier. Qu’il s’agisse d’une fable ou d’une vérité, Rubens, peintre d’histoire s’il en fut, dont la renommée couvrait l’Europe, se prit de passion pour le paysage, ce genre mineur.
Le Paysage avec Psyché est le résultat de la collaboration de Paul Bril (1554-1626) et de Rubens : Bril réalisa le fond, avec ses talus escarpés rocheux d’où jaillissent des arbres tourmentés, et la cascade sur laquelle les rayons du soleil dirigés provoquent l’apparition d’un double arc-en-ciel. Au sommet de la montagne à l’arrière-plan une ville fortifiée se détache sur le ciel. Paul Bril vivait alors à Rome, d’où il expédia la toile inachevée à Anvers, où Rubens exécuta la figure nue de Psyché, laquelle est saisie au moment où l’Aigle de Jupiter lui porte secours.
Psyché qui inspira tant de poètes était une princesse d’une beauté si extraordinaire qu’elle provoqua la jalousie de Vénus. Celle-ci après avoir vainement tenté de la rendre amoureuse d’un être disgracieux, lui imposa des épreuves apparemment insurmontables. Psyché dut ainsi remplir une coupe puisée aux sources du Styx. Mais elle ne parvint pas à approcher les eaux parlantes et menaçantes du plus redoutable fleuve des enfers : «Arrière ! Que fais-tu ? où vas-tu ? Prends garde ! fuis ! Tu mourras ! ». A droite se devine au bord du fleuve la forme effrayante et tentaculaire d’une de ces « affreuses têtes de dragons aux paupières immobiles, aux yeux constamment ouverts; gardiens terribles et qui ne s'endorment ni ne se laissent gagner » que décrit Apulée (Met.VI, 14, 4). L’aigle réussit à tromper leur vigilance, « Psyché reçut avec joie le flacon si heureusement rempli, et le rapporta en toute hâte à Vénus; mais rien n'apaisa l'implacable déesse.»
Peinte en 1610, la toile demeura dans la collection personnelle de Rubens jusqu’à sa mort puis fut acquise par le roi d’Espagne.