L'espace Winston Churchill
(Sports and the Arts)
Introduction
As he approached his 90th birthday, Winston Churchill was asked the secret of longevity.
"Sport," he replied. "I never, ever got involved in sport."
Nous achevions, Emilio Campari et moi, une bouteille de Cognac achetée l'après-midi même, et je regardais avec concupiscence les cigares que notre collaborateur transalpin consume à raison de vingt par jour lorsqu'il m'est interdit ne serait-ce que de promener mes narines au voisinage de leurs voluptueuses volutes. Nous nous creusions la tête en nous accablant de reproches - à quoi bon poursuivre cette entreprise dérisoire, dans une semaine les jeux olympiques débuteraient, nos ultimes visiteurs se précipiteraient sur les sites spécialisés lorsqu'ils ne seraient pas rivés à leur téléviseur, et leurs hippocampes saturés nous oublieraient. Emilio Campari me fit remarquer qu'au lieu de regarder depuis le bord du chemin ce flux immense qui convergerait bientôt sur Pékin, autant valait se mettre au milieu.
Au milieu de quoi lui fis-je et il me répondit au milieu du flux. Je vis alors les jambes de la paysanne de Jan Siberechts qui traverse le gué.
Jan Siberechts (Anvers, 1627 - Londres, 1703) La traversée du gué 1669 Musée Pouchkine Moscou
Puis un second gué, du même peintre, avec la même jeune fille charmante relevant sa jupe.
Jan Siberechts (Anvers, 1627 - Londres, 1703) La traversée du gué Musée d'Anvers
On dirait qu'elle n'a qu'une jambe me dit mademoiselle µµ. Le prochain Siberechts, je vérifierai, lui rétorquai-je incrédule. Le prochain Siberechts, la paysanne au milieu du gué avait deux jambes. Tu vois, lui lançai-je plein de morgue.
Jan Siberechts (Anvers, 1627 - Londres, 1703) La traversée du gué Musée des Beaux-Arts de Lille
Jan Siberechts (Anvers, 1627 - Londres, 1703) La traversée du gué détail Musée des Beaux-Arts de Lille
Tu vois les trois jambes de la vache ? relança mademoiselle µµ. C'est elle tout craché, ne jamais lâcher le morceau. On ne dit pas des jambes, mais des pattes fis-je remarquer afin de clore le débat, qui nous aura tenu de Moscou à Lille en passant par Anvers, et perduré dix-huit mois. Lorsque l'on fréquente mademoiselle µµ il ne faut pas manquer de souffle. Et le coup de grâce me fut asséné avec la force déployée par un équarrisseur pour abattre un boeuf lorsque je découvris une nouvelle version du gué de Siberecht :
Hélas doté par la nature d'une capacité de détection du détail saillant dont sont tant friands les cognitivistes je focalisai quasi-instantanément mon attention sur le détail fatal à mon incrédulité :
Qu'est-ce que les jambes des vaches viennent faire dans une controverse sur la position que nous devions occuper pendant les jeux olympiques, voilà une problématique caractéristique de ce qu'induit la présence d'Emilio Campari dans un groupe de discussion, même résumé à deux interlocuteurs. Un instant plus tard, ayant constaté le décès de notre bouteille de cognac, nous résolûmes de nous installer à notre manière au milieu du flux : en inaugurant une chronique consacrée aux rapports de l'art et du sport. Je voulus mettre un A à art et un s à sport. Emilio Campari vira du rouge brique, son teint habituel, au cramoisi et me rétorqua que lui vivant. Lui vivant, relevai-je car Emilio Campari a le chic pour laisser retomber lourdement les raisonnements et les figures de rhétorique avant de les avoir menés à leur terme.
Il devint rapidement évident qu'à ma réticence, pour employer un euphémisme, au déroulement des jeux en Chine, Emilio Campari opposait un enthousiasme surprenant, et je le découvris homo sportivus alors que je le supposais purement oenolicus. Comme quoi un vice peut en cacher un autre, plus affreux encore. Nous prîmes la décision de tenter de ne rien cacher de nos dissensions et de concevoir la rubrique en reconstruisant nos dialogues. Après tout, un certain grec dont le nom m'échappe n'en avait-il pas fait autant il y a quelques vingt-cinq siècles ? C'est ce moment que choisit mademoiselle µµ pour se mêler de la partie en lançant un de ses fameux et moi alors ? Je m'inclinai, m'effaçai et lui cédai mon siège : désormais, je n'aurais plus qu'à recueillir, tel un compagnon de Moïse la manne dans le désert, les phrases qui s'échapperaient des lèvres de l'une et de l'autre, tandis que je ferais silencieusement défiler devant leurs yeux éblouis les oeuvres en rapport avec le thème. Présomptueusement j'avais alors la conviction que l'affaire serait réglée en quelques clics de souris.