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Antiquité (J.O : l'espace Winston Churchill)

 L'espace Winston Churchill

(Sports and the Arts)

I - Antiquité

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mademoiselle µµ : à Rome j'ai mangé une pizza discovolante

Emilio Campari : ..... (sospiri)

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    L'oeil éteint d'Emilio Campari confronté au discobole et au premier dribbleur héllène, se mit à briller devant cette mosaïque de Piazza Armerina. Et de faire remarquer que l'on ne pouvait ressentir qu'un mélange de ravissement et de perplexité, ne sachant qu'admirer le plus, des mini-haltères ou du bikini.

    Lorsque nous en eûmes terminé avec les statues et les mosaïques, nanti en ce qui me concerne des informations suffisantes pour poser l'hypothèse que tout était dit ou presque, il fallut décider collégialement de la manière dont nous allions présenter les oeuvres : en suivant l'ordre chronologique, ou par catégorie sportive ... Il nous parut plus commode de suivre le fil des siècles. Je préparai le canevas - vingt chapitres pour deux millénaires. Tandis que j'ouvrais successivement les pages correspondantes afin de vérifier que tout fonctionnait correctement, je vis les yeux d'Emilio et la bouche de mademoiselle µµ s'arrondir dans un même ébahissement. Car rien, absolument rien, ne semblait en mesure d'occuper ne serait-ce qu'un minuscule paragraphe dans l'espace prévu pour les treize premiers siècles.

    On ne peut quand même pas remplir tout ce vide avec des scènes de chasse, des duels et des tournois, fis-je. Et des joutes, ajouta
mademoiselle µµ qui n'en était pas à une tautologie près. Emilio afficha l'un de ses sourires cruels et gourmands, et se hasarda à supposer que les corridas existaient bien avant la Renaissance. Et n'aurions-nous pas oublié un petit peu les gladiateurs ? Il exprima le regret iconographique, que rien ne vînt témoigner de la pratique sportive d'Elisabeth Ière d'Angleterre. Qui se faisait amener toutes les variétés d'animaux alors connues, et leur perçait le coeur d'une longue aiguille, afin de jouir de la diversité de leurs agonies. Car là est un premier problème, qu'appelle-t-on sport exactement ? demanda avec toute l'innocence dont elle est capable - fort peu en réalité - mademoiselle µµ.

    La première occurence officielle date de 1828, très exactement du 1er Mai dans le Journal des haras : « activités physiques à buts non utilitaires obéissant à certaines règles et comprenant souvent une part de compétition ».

    Bon d'accord mais qu'appelle-t-on activités non utilitaires exactement ?
mademoiselle µµ se composa une petite mine ingénue en battant des paupières.

    Je fis semblant d'élaborer laborieusement une réponse que j'avais préparé il y a environ une quarantaine d'années : une activité sans intérêt pour la collectivité, exercée dans le seul but de se faire plaisir, d'autant plus qu'elle est subventionnée et encadrée par des fonctionnaires dûment rétribués pour leur rôle dans l'affirmation et la diffusion des valeurs sportives.

    Fort bien fit mademoiselle
µµ ; elle avait décidé de se donner des airs grand siècle, mais malencontreusement se fendit d'un : quelles sont ces valeurs sportives dont vous nous rebattez les orteils ?

    Me devançant, Emilio répondit d'un trait : l'antithèse heureuse de la devise gravée au fronton de vos édifices républicains. Sans développer il émit une réflexion paradoxale : Je trouve que ruisseler d'endorphines n'est pas une activité non utilitaire. Ses prunelles luisaient comme la peau d'un lutteur enduite de graisse. Je soupçonnais notre ami du pays du giro d'avoir connu autrefois du temps qu'il était sobre quelque expérience où le plaisir est intimement lié à la souffrance. Si j'avais disposé sur le champ d'une électrode je lui aurais volontiers plantée dans le noyau accumbens.

    Mais il poursuivais à mon intention : vous le dîtes vous-même, cette activité en apparence ancrée dans la satisfaction individuelle est en réalité génératrice d'emplois. Et pas seulement de pédomanes recyclés dans l'encadrement et la formation de la jeunesse : celà va bien au-delà, pensez à la construction obligatoire d'un stade et d'une piscine olympique pour chaque commune de trois cents habitants, et à leur maintenance surfacturée sans le moindre risque, justifiant les impôts locaux comme les subventions régionales et nationales ... à toute la chaîne de la fabrication des chaussures de sport, des maillots, des fanions qui permettent au prolétariat de lointains pays de confirmer par leur persistance même les théories économiques du XIXème siècle ... aux inventeurs de boissons energétiques, aux tenanciers de buvettes, aux médecins du sport, cette chinoiserie ; qui eût cru en effet qu'il fallut des docteurs pour surveiller ceux là même qui incarnent la bonne santé ... aux journalistes sportifs sans qui nous ne saurions que penser, à la veille d'un match, et dont les questions judicieuses parviennent à faire avouer aux athlètes, par une sorte de miraculeuse logique, que s'ils marquent des buts, ils gagneront leur match ; et en cas de catastrophe, perte d'une finale ou écrasement d'une centaine de malheureux lors d'un mouvement de foule maladroit, aux psychologues sans l'aide desquels nous ne saurions quoi éprouver...

    Cependant Mademoiselle
µµ était restée accrochée au premier mot de la réponse énigmatique qu'Emilio avait fournie à la question des valeurs sportives : antithèse ?

    Il fallut un bon moment à notre ami pour remonter le cours de sa pensée. Nous sûmes qu'il était parvenu à reconstituer le passé proche à l'expulsion d'un petit gloussement. Le sport est le nécessaire complément de cette incantation que vous apprenez dès votre plus jeune âge - après quatre ans il serait bien trop tard. Examinons les trois termes de votre devise nationale, un par un.

    L'esprit de compétition, la hiérarchie, les classements, sont exactement le contraire de l'égalité rabâchée par vos professeurs
; c'est la juste loi du chacun pour soi ou si l'on est dans une équipe, soit un groupe mené par un leader pour lequel les coéquipiers doivent être prêts à se sacrifier, chacun pour le chef. Le meilleur est adulé, le second conspué puis oublié, à moins qu'il ne soit nanti d'une bonne tête de perdant. Chaque génération produit ainsi un exemplaire d'éternel second - mais pas deux.

    Les athlètes qui se donnent en spectacle sont les esclaves de leurs leaders, de leurs sponsors, de leur public, de leurs endorphines, des stupéfiants avec lesquels il se dopent, de leurs masseurs, de leur famille ... Pour parler de la liberté, il faut l'avoir conquise, ce mot, galvaudé dans votre langue, signifie chez nous le passage de l'état de servitude à celui d'affranchi, il suppose la chute des entraves et l'acquisition de l'indépendance. Un sportif fait l'expérience de la liberté, le jour où il déchire ses contrats. Chez vous, chacun est né libre, et égal, et par conséquent, il n'a plus à conquérir cette autonomie, il n'est plus capable de repérer l'inégalité primordiale, et celles subalternes qui en découlent.

    Pour la fin j'ai gardé la fraternité,
extraordinaire tiers d'apophtegme, lancé par un modèle de tolérance, Maximilien de Robespierre, dans son Discours sur l'organisation des gardes nationales. Que l'on ait pu sans rire conserver cette prétention, dans un pays où la famille est le lieu des pires horreurs, et où l'on dénonce son voisin de palier à la moindre occasion historique, voilà qui ne laisserait pas d'étonner un observateur naïf. En réalité, j'aurais l'occasion de vous le démontrer lorsque nous parlerons football, cette procédure est des plus efficaces, et pour des raisons élémentaires.

    Emilio Campari qui lit par dessus mon épaule me fait remarquer que tout ce que je viens d'écrire est une sorte de making-off, voire pire, une leloucherie. Je lui réponds par le truchement du clavier que les journalistes qui couvrent les jeux olympiques filment les évènements, pendant que d'autres filment ceux qui filment, etc... C'est le côté baroque de notre époque post-moderne commente mademoiselle
µµ.

Marathon

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Nicolas Luc-Olivier Merson, (1846 -1920), Le Soldat de Marathon
1869
Grand prix de Rome avec la représentation de  Philippidès apportant la nouvelle de la victoire

  Emilio Campari : vous voyez ce soldat de Marathon que nous jugeons ridicule, oeuvre d'un peintre pompier, accumulant les stéréotypes de l'expression éventés depuis alors deux siècles, n'épargnant aucun lieu commun y compris l'enfant brandi par sa mère comme l'avait déjà inventé Poussin et repris David. Ebbene, cette scène grotesque devient raffinée lorsqu'elle nous rappelle que le marathon, cette épreuve sublime, fut d'abord un fait de guerre. Ne faites pas cette tête, Webmestre, en réalité cette toile apporte autant à votre moulin, qui est de fonder l'inanité du sport, qu'au mien, qui est de promouvoir au contraire cette pratique comme le parangon de l'activité humaine. Car sur ce point nous nous rejoignons je crois, n'est-ce-pas ?

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  J'en étais, suivant sans lutter la prescription d'Emilio, à trouver des mérites à cette oeuvre misérable ; d'un autre côté, je n'ai jamais su distinguer le beau du laid. Et son mauvais sourire me laissa entrevoir ce qu'il connaissait depuis toujours : le jeu est l'activité humaine principale ; le sport est un jeu ; à l'origine du sport il y a un jeu ; un simulacre qui s'appelle la guerre. Et comme s'il se trouvait quelque part tapi dans un coin de ma cervelle, Emilio me chuchota et ne me parlez pas de simulacre. Cette théorie de la domestication de la violence, du sacrifice fondateur de la culture, c'est une idée de grenouille de bénitier.