Neuroland-Art

http://www.bkneuroland.fr/

Les visions du Webmestre (Les pyrosis d'Emilio Campari)

Sa plume trempée dans l'éthanol n'épargne personne et n'engage que lui

De notre envoyé spécial dans le treizième arrondissement,  Emilio Campari , le 7 Aout 2008 :


    Nous avions décidé au dernier moment de construire quelque chose autour du phénomène des jeux olympiques à Pékin - le Webmestre ne voulait pas même en parler sinon pour en dire tout le mal qu'il en pense et j'ai dû mettre dans la balance ma participation à Neuroland-Art afin d'obtenir un coin de colonne, et encore, tout en haut de la colonne Démocrite, comme saint Siméon Stylite, l'anachorète. Mais là n'est pas la question du jour. Nous débattions donc, lorsque je remarquais que notre webmestre avait un problème. Comment m'en suis-je aperçu ? Il me faut effectuer une petite digression.

    D'habitude, deux personnes qui se voient chaque jour dans des endroits faits pour la convivialité, les bars d'hotels, les cafés glauques, ne se regardent  jamais. C'est flagrant dans un couple : les deux parties regardent ensemble dans la même direction, celle de l'écran de télévision, ce moderne ciment de la famille. Mais il n'est pas question que leurs regards se croisent, sinon nous voilà au temps des mousquetaires avant l'édit de Richelieu interdisant les duels. Un coup d'oeil de trop et l'on se retrouve avec une lame de fleuret au travers de la poitrine ou une plainte pour harcèlement visuel déposée par son propre conjoint.

    À titre de démonstration de mon précédent propos, et bien que totalement hors sujet, voici dans un premier temps, un couple qui est allé posé chez un photographe.

avant.jpg

     Ces deux personnages ont certainement décidé de fonder une famille ; leurs yeux s'ils expriment des sentiments différents regardent effectivement dans la même direction. Monsieur qui travaille probablement dans l'administration, ou le droit, ou dans une boutique où ses employés lui donnent du Monsieur, a des cheveux avec une raie au milieu et une moustache qui rebique, il est mince et énergique, on sent l'ambition mélée à la perspective d'un passage prochain à la casserole. Madame est essentiellement inexpressive, son regard n'est ni intérieur ni extérieur, elle n'observe rien, elle dégage un ennui profond, on sent que partager son existence ne va pas être drôle tous les jours, et l'on aurait envie de conseiller à Monsieur de prendre ses jambes à son cou avant qu'il soit trop tard. Seulement, petit problème, c'était il y a environ cent dix ans.

apres.jpg

    Tient ! Monsieur est resté avec Madame, ils ont cru et se sont multipliés. Ils ont déménagé, de Saarbrücke à Metz mais on y parle toujours allemand. Monsieur a un peu changé : il est devenu gras comme un goret,
son noeud papillon a subi la même métamorphose, ses cheveux se sont envolés comme ses illusions, les extrémités de sa moustache dardent vers le bas. Il ne regarde plus l'avenir radieux qu'il pensait atteindre au mérite, mais la réalité en face qu'il faut supporter. Madame fait partie intégrante de cette réalité. Elle ne regardait rien, désormais elle ne regarde pas plus, alors qu'un lustre à peine a passé. Elle ne pouvait pas avoir l'air plus gourde, elle a donc toujours l'air aussi gourde. En fait, la grande gagnante, c'est la petite fille âgée de quatre ou cinq ans, qui malheureusement a hérité du regard de sa mère, et sans doute ne réalisera jamais qu'elle symbolise le naufrage des espérances juvéniles de son géniteur. On peut avancer sans grand risque qu'elle perpétuera le cycle dit des regards qui en disent court.


tronchedebacon.jpg

Constance Campari Tronche de Bacon, ou le portrait du Webmestre Kyoto 2006

       Retour au problème du Webmestre : il aura suffi pour l'identifier d'un soir où j'était assis de telle sorte que je ne pouvais pas ne pas voir son visage, lequel pourtant n'a rien d'original et surtout d'attrayant, pour le descendant des esthètes romains que je suis. Surtout que je ne suis pas un amateur de Françis Bacon, loin s'en faut. Il me parut tout à coup évident que le Webmestre avait des visions. Qu'il fut à jeûn n'y changeait rien. Je lui demandais si çà le reprenait souvent, et depuis quand, dans l'esprit d'une enquête anamnestique standard. Il m'apprit alors qu'il en était assailli depuis son enfance, et que celà pouvait l'envahir comme une horde de huns. Il me vint la curiosité de lui faire préciser s'il pouvait lutter contre cette invasion : je la subis me fit le Webmestre en prenant l'air d'une victime - victime parmi les soixante millions de victimes que sont ses compatriotes, presque aussi pleurnichards que le gémissant voisin du bougre.  Vous aussi, donc ! lui fis-je saisi par la compassion. Cà, j'l'aurais jamais cru, ajoutai-je en hommage à qui vous savez.

( à suivre )