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Festival du film d'avion (Les pyrosis d'Emilio Campari)

Plaidoyer pour un
festival du film d'avion

    Il revient aux membres des Nuls d'avoir individualisé la catégorie musique d'ascenseur. Je suggére sans grande originalité certes et recourant à l'analogie, cette trope triviale, de distinguer à son tour la catégorie du film d'avion. De préciser ce qui en constitue la singularité, ses règles propres, son économie, sa sociologie, comme on l'a fait pour le film italien, le western, la bande-annonce, le scopitone. En fait, je souhaiterais développer une idée qui m'est venue alors que je tentais d'oublier les crampes qui déformaient mes membres inférieurs torturés par les économies d'échelle des concepteurs de la classe dévolue au petit peuple, en me livrant à des recherches métaphysiques : mes tentatives dans le domaine de la spiritualité s'arrêtèrent à la question suivante : les spectateurs des films d'avion sont-ils comptabilisés dans les résultats publiés par le box-office ? Et d'enclencher une quantité de calculs fumeux avec des évaluations minimales et maximales prodigieusement étendues en raison de l'imprécision des données : soit deux cents passagers par long-courrier au bas-mot, en supposant mille voyages par jour, celà fait deux cents mille spectateurs, qui voient entre un et six films selon la durée du trajet et l'équipement vidéo de l'appareil ... Deux cent-mille spectateurs, en imaginant qu'un film fait une carrière d'un mois minimum - celà ferait au moins six millions d'entrées si je puis dire.

    On ne peut calculer à l'infini lorsque l'on manque à ce point de data, et lorsque l'on ne sait si l'on parviendra à remarcher, parvenu à destination. L'absence de perspective nuit à la poursuite d'un projet. Les calculs des optimisateurs de place sont, nous le savons tous, inspirés des travaux d'un hollandais nommé Beukelings qui au quatorzième siècle inventa la manière de mettre le maximum de harengs dans un tonneau. Je les imagine d'ailleurs vêtus comme des bataves et répandant une épouvantable exhalaison de conserve avariée. La souffrance en dehors de quelques yogis n'est pas tant que çà propice à l'abstraction. Et répéter des mantras comme par exemple soit sage ô ma douleur et tiens toi plus tranquille, est-ce de l'abstraction ? Donc après le calcul mental sans issue je tentais d'analyser un phénomène concret, un évènement observable sur le terrain : le film qui était projeté ici et maintenant comme dit l'autre.

    Première précision avant de décrire le fruit de notre observation, les conditions de celle-ci peuvent modifier le déroulement de l'expérience : par exemple, la position de l'écran a une certaine importance :

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et parfois c'est encore plus délicat  :

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    Mais aussi le nombre d'écrans, qui peut induire des saccades involontaires que l'on passe un temps fou à réprimer même si l'on connaît grâce aux merveilleux articles de Charles Pierrot de Seilligny les voies du cortex dorso-latéral inhibant le cortex oculo-moteur pariétal : trois écrans, comme sur la première illustration, c'est encore supportable ; mais que dire de la situation suivante :

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une véritable cascade d'écrans. Que de saccades en perspective !

    Après avoir constaté qu'hormis le cas béni où l'on se trouve placé au premier rang, près les sorties de secours, le nez sur l'écran géant ( par rapport à ses petits frères clones minuscules échelonnés vers l'arrière ), à deux pas au sens propre des lavabos, rien n'est vraiment fait pour vous encourager à suivre le film.

    Et puisque nous en parlons : récemment j'ai vu un prototype de film d'avion. Un film dont l'action peut s'interrompre et se reprendre sans difficulté, puisqu'il n'y en a pas. Je m'interroge au passage sur les frais de la pré-production : un scénario inexistant, est-ce que çà a un prix ? Le sujet doit être insipide, et quoi de plus insipide que le sport, le thème de ce tissu d'inanité étant le passage d'un football américain dépourvu de règles et pratiqué dans l'intimité par quelques amateurs demeurés ( en ce sens cette oeuvre cinématographique pourrait être considérée comme une sorte d'hommage à Bourdieu ), à un sport pourvu enfin de limites, regardé par des masses abruties, dans une orchestration professionnelle où les média jouent un rôle d'amplification majeure, et la publicité assure le nerf de cette guerre d'occupation des esprits. Comme maintenant en plus rustique.

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    Il faut que le sujet soit visible par toute personne présente dans l'appareil. Or, comme, vous l'avez remarqué, il y a toujours une proportion de nourrissons nettement supérieure au taux de natalité moyen lors des vols où la faculté vous conseillerait un bon petit somme désamorceur de jet-lag. Qui dit nourrissons, dit pas de scène qui puisse choquer : pas de baston, pas de nichon. Ensuite, les acteurs. Certes il y a Georges Clooney, le futur gentleman senior du cinéma comme Sean Connery ; mais flanqué d'une actrice, Renée Z, dont je lis qu'elle est née en 1969 - je cours chez mon ophtalmologiste à peine descendu de l'avion parce que dans ce film je lui donne franchement soixante ans. C'est bien simple, on dirait que c'est la mère de Georges Clooney. La preuve ? En image :

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Ne dirait-on pas qu'elle va bientôt fêter ses cent ans ? et même lors de la présentation du film, face à la presse, derrière le ravalement de façade on sent bien un demi-siècle au moins de lutte contre la cellulite :

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et le sourire de Clooney avec ce petit plissement au coin des yeux ... ne dirait-on pas qu'il s'excuse, géné que l'on puisse penser une seconde que lui et Renée Z ... C'est bien seimple, mieux que lire dans ses pensées, on peut décrypter son message désespéré en suivant à la lettre les principes de l'expression des émotions à la condition d'avoir un lobe temporal droit antérieur et inférieur indemne  : enfin, non, il n'en est rien, vous l'avez bien regardée ? Moi je joue dans ce film d'avion  pour des faisons purement fiscales ... Mon agent avait des difficultés à boucler ses impôts ...