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Jamais le Dimanche (Les pyrosis d'Emilio Campari)

 Sa plume trempée dans l'éthanol n'épargne personne et n'engage que lui

de notre correspondant spécial à Rome, Emilio Campari, le 17 Avril 2006,

Un Dimanche pas comme les autres


    Lorsque je travaillais le Dimanche - les gardes, les remplacements, et plus tard, les consultations - je croisais des quantités de corps de métiers. Des individus logés à la même enseigne que moi, infirmières, ambulanciers, cuisinières, aides-soignantes, chirurgiens, anesthésistes, pompiers, chauffeurs de taxi, employés des péages, conducteurs de bus, contrôleurs de la RATP, cheminots, vendeurs de journaux, serveurs de restaurants, aubergistes, cafetiers, grooms, employés d'hôtels, gérantes de maison de retraite, maitres-nageurs, surveillants de plages, marchands de glaces, caissières de cinéma, ouvreuses de théatre, gérants de boite de nuit, videurs de boite de nuit, serveuses de boite de nuit, musiciens, comédiens, chanteurs, artistes de music-hall, putes, maquereaux, policiers, cambrioleurs, pilotes d'avion, hôtesses de l'air, bagagistes, boulangers, pâtissiers, producteurs d'électricité et de gaz, pompistes, dépanneurs, trayeurs de vaches, gardiens de phare, et la liste n'est pas exhaustive.

    J'écris tout ceci dans le souci d'informer l'un de vos compatriotes, un certain
Bernard Maris, qui se prétend économiste et déplore à ce titre que l'on ouvre le Dimanche un certain nombre de lieux parce que l'on va détruire l'équilibre de l'environnement dans le fantasme duquel il a été élevé. Une sorte de bocal bien rangé où l'on va à la messe le Dimanche, parce qu'une secte plus chanceuse qu'une autre, certains diraient plus puissante, a réussi à imposer ses vues comportant un endoctrinement à jour et heure fixes ; et où l'on jouit d'un repos, parce qu'il y a soixante-dix ans, vos aïeux qui eux se tuaient à la tâche gagnèrent le droit au repos dominical. Monsieur Bernard Maris ignore qu'une partie de ses compatriotes n'est actuellement pas concernée par cette révolution religieuse et sociale. Il croit que tout s'arrête de fonctionner le Dimanche, que tout le monde met de beaux habits et s'en va célébrer un culte, et que les rouets tournent tout seul, machines qui par ailleurs font tant de mal parce qu'elles remplacent les humains. J'y reviendrai dans un instant.

      
Bernard Maris se fait un souci d'encre. Il pense que les malheureux qui devront travailler le Dimanche seront rejoints par des malheureux qui devront consommer le Dimanche, réunis dans une même aliénation. Il voit le monde comme des gens qui travaillent et puis qui consomment le peu de temps qu'il leur reste, les pauvres. Pensez ! Trente cinq heures de travail hebdomadaires ! restent ... je pose mon huit et je retiens deux ... à peine cent trente-trois heures ! Dont il est vrai, environ quarante-neuf passée à dormir ... Plus que quatre-vingt quatre heures !  Il pense que ce temps pourrait être consacré à lire ou à s'occuper de leurs enfants. À ce compte, vous allez devenir intelligents et vos marmailles deviendront supportables ! Vos voisins, qui vous méprisaient en rigolant, vont désormais vous détester ! Je plaisante, la lecture des journaux à scandale et des magazines sportifs abêtit plus sûrement encore que les informations télévisées et il me semble me rappeler qu'au dix-neuvième siècle ont été démontrés les effets délétères et névrogènes de ce modèle réduit de l'enfer que l'on appelle la famille.

    Je pense quant à moi que l'on devrait attribuer le grand prix de la Naïveté à cet économiste et s'il ne l'obtient pas car la concurrence est rude, lui octroyer la palme de la Mauvaise Foi. Et lui rappeler en hurlant bien fort dans ses oreilles que le temps libéré par les trente-cinq heures de madame Aubry, votre prochaine présidente de Nouvelle-Bolchevie, est consacré d'après toutes les études statistiques un peu sérieuses à l'exercice d'un sport qui est à votre nation ce que le Baisebole est aux américains du nord, à savoir l'adultère. Que si les français lisaient, çà se saurait ; en général ils considèrent qu'avec Molière et Victor Hugo dans leurs ascendants, le quota national de lecture est largement rempli pour un siècle. Et que s'ils s'occupaient de leurs enfants, celà se saurait aussi, étant donné qu'ils les déposent devant une télévision ou une crêche ( le nom très chrétien du dépotoir à nourrisson qui permet aux mères de famille, une fois assouvi leur besoin incontrôlable de gestation, de passer à la pratique du sport décrit plus haut ) vers l'âge de trois mois et les retirent en moyenne à 78 ans, pour les garçons, et 87 ans, pour les filles, en général pour les incinérer. Il sera temps encore de rappeler à Monsieur
Bernard Maris que l'allongement de l'espérance de vie acquise depuis la libération est exactement égal au temps consacré à la contemplation de la dite télévision, inventée quelle coïncidence au même moment.

    Donc, que Monsieur Bernard Maris se rassure, dans le domaine de la lecture et de l'attention portée aux progénitures le niveau actuel ne peut mathématiquement descendre plus bas que le degré zéro atteint depuis bien longtemps : on peut ouvrir jour et nuit tous les commerces de l'hexagone, et porter par décret la limite du travail quotidien à quarante-huit heures, comme il le suggérait avec une ironie aussi efficace qu'une bonne blague racontée par Robespierre à Lavoisier la veille de son exécution, celà ne changera strictement rien. ( Proposer malicieusement de trimer " pourquoi pas quarante-huit heures par jour " comme l'a osé dire Monsieur Bernard Maris, humoriste, dans le pays où l'on travaille le moins au monde, il y a de quoi se tordre tel Socrate après qu'il eut avalé sa cigüe de onze heures ).

    Mais tout ceci ne changera sans doute rien aux affirmations de Monsieur
Bernard Maris. Il fait partie de ces gens qui veulent croute que croute maintenir le privilège insupportable d'une majorité de travailleurs à la petite semaine, qui ignorent ce que pourtant vivent une partie non négligeable bien que minoritaire de leurs concitoyens : le travail de nuit, le travail dominical, et les jours fériés.

    Le plus extraordinaire, chez notre économiste, est la façon dont sont connectés ses modules cognitifs comme on dit chez Monsieur Changeux et ses amis. Peu après avoir déploré d'une voix brisée par les sanglots, le visage inondé de grosses larmes brûlantes, le renversement de son univers pour demeurés, où désormais le Dimanche va ressembler aux autres jours, voilà qu'il nous fait une sortie sur le remplacement des caissières par des machines. Alors là je me dis que ce Monsieur Bernard Maris
ne sait pas ce qu'il veut, ce qu'il préfère, des caissières aliénées le Dimanche, ou des machines substituées aux caissières. Je subodore qu'il a décidé de pulvériser le record d'escroquerie intellectuelle détenu à l'heure actuelle par le Fossoyeur de l'Europe.