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Coriolan (La Rubrique néo-natalogique de Klou de Montsercueil)

La Rubrique néo-natalogique de Klou de Montsercueil

Bienvenue à Coriolan


Neuroland, après l'arrivée en fanfare, instaure l'accueil en peinture

   Avertissement : le thème de Coriolan est très oedipien, et cet aspect n'a pas échappé aux peintres que nous avons mis à contribution ; par égard pour les parents, qui auront tout le temps de prendre conscience de cette étape du développement de leur chérubin, nous n'aborderons pas le sujet et nous contenterons de propos de surface.

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Nicolas Poussin (1594-1665)  Coriolan supplié par sa mère c. 1650-1655  Hôtel de Ville des
Andelys

    Ce qui est agréable chez Nicolas c'est que tout y est toujours bien à sa place : ici le paysage n'est pas vraiment très important et il est difficile de reconnaître la manière de Poussin - les arbres bien taillés, les sentiers entretenus, les rochers bien brossés, bref une harmonieuse disposition du décor d'où toute trace de désordre aurait été bannie avant l'arrivée du peintre. En revanche question personnages nous sommes gâtés : à droite, un groupe d'hommes, des soldats, debout, la lance à la main ; Coriolan brandit une épée, sur le point de la rentrer ou de la sortir d'un fourreau qu'il ne stabilise pas de la main gauche - tiendrait-on l'origine de la dextérité ! À gauche, dans une attitude de soumission et d'imploration, un groupe de femmes, l'une opposant au glaive dressé un bambin terrifié dont on se dit qu'il ne se remettra jamais de ce traumatisme infantile, une autre en appelant à un personnage en armes portant lance, casque et bouclier et pourtant siégeant parmi les femmes ... Chaussons nos lunettes ... Mais nous n'avons pas la berlue, il s'agit bien d'une femme, bien que je les préfère avec une poitrine autrement dessinée ! Ne serait-ce pas Minerve -  et on comprend sur quel argument  anatomique Pâris l'écarta de son choix - qui n'est autre que la déesse de la Raison ! Opposée à l'impétueux Coriolan ! Sacré Nicolas ! Mais cette interprétation misérable de facilité s'effondre à la lecture de Stendhal, qui dans son voyage en Italie reconnaît dans la guerrière désignée par les romaines, Rome elle-même.

    Et ces mains diversement levées ne parlent-elles pas mieux que ces lèvres uniformément entrouvertes dont s'échapperait un même gémissement ... L'observation attentive des six personnages féminins qui s'expriment ainsi ( en oubliant que le nourrisson participe à l'imploration générale )  permet de relever que chacune adopte une position différente selon que l'on considère la main gauche ou la main droite. Si l'on se réfère aux canons édités en 1644 ( dix ans avant la réalisation du tableau de Poussin ) par John Bulwer, dans sa Chirologia, or the natural langage of the hands, A Corollary of the  Speaking Motions, Discoursing Gestures, or Habits of The Hand With an Historical Manifesto, Exemplifying the Natural Significations Of Those Manual Expressions, il devient possible d'entendre cette supplication collective jusqu'alors muette :

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  Ce qui est bien avec Poussin, c'est qu'il est un peu comme Lelouch, une sorte de spécialiste de la surdétermination : les personnages jouent une scène, pendant qu'ils la jouent ils l'expliquent, pour ceux qui n'auraient pas bien saisi l'action ; et la scène suivante, l'un des acteurs explique à un autre qui n'était pas là la scène précédente.


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Eustache Le  Sueur (1616-1655)
Volumnie et Véturie devant Coriolan,  c.1638, Musée du Louvre, Paris

    Ce qui est bien avec Eustache ( élève de Simon Vouet, rival de Poussin) c'est qu'il ne lésine pas sur l'expression des passions : à côté, la gratitude des parents dans la Continence de Scipion, archétype du thème traitant du contrôle des passions par la raison, et sur laquelle nous avons eu la faiblesse de nous pencher, est un modèle d'émotion retenue. À la clémence de Scipion, lequel fait preuve d'une magnanimité étonnante en faisant taire son désir, démontrant la force de la nolonté, le moins que puissent faire les parents de la captive libérée est de répondre par une reconnaissance dans le même ton, celui de la discrétion. Du coup on s'ennuie un peu, on dirait du Bresson.

    Tandis qu'ici on en a pour son expectative ( dans la version anglaise du site et shakespearienne de l'article le mot expectation rendra mieux ce que l'on veut signifier ) : les larmes de la mère et de l'épouse de notre héros dégoulinent, l'inclinaison latérale cervicale, fondement universel de la sémiologie de la quémande pacifique, est remarquablement observée. À l'intention des parents du petit Coriolan, nous leur précisons que dès l'école maternelle, il faut avoir l'oeil sur ce genre de posture : on distingue dans tout groupe d'enfant trois sous-groupes : l'un, le plus important, se fera systématiquement déposséder de ses jouets, de sa place, de sa parole ; un second, est constitué d'enfants qui déposséderont les premiers sans discussion, en usant de la force ; un troisième, numériquement plus faible, est constitué d'enfants qui obtiendront des premiers voire des seconds tout ce qu'ils voudront sans user de violence : on les reconnait à ce qu'ils inclinent le chef, écartent les lèvres et retroussent les narines en ébauchant ce que l'on appelle chez les naïfs un sourire, et tendent la main, la paume  dirigée vers le ciel ( l'inverse du signe de la main creuse de Garcin pour les initiés ). Ces enfants sont destinés à devenir les pire prédateurs, ceux par lesquels on éprouve du plaisir à se faire déposséder. Personnellement, j'ai allumé quelques cierges afin que ma progéniture appartienne au dernier sous-groupe, mais chacun fait comme il veut.

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    Scipion ne s'incline jamais : tandis que Coriolan, dont nous savons qu'il cédera, se voûte de manière fort peu physiologique au risque de provoquer l'inquiétude du collège des rhumatologues romains. Du coup on examine de plus près les jambes, les chevilles et les genoux, les cuisses, les marches, et l'on voit bien qu'il y a un problème avec le raccourci du membre inférieur droit. Eustache le Sueur, c'est un peu le Candeloro de la peinture classique : plaçant la barre très haut, multipliant les obstacles mais s'exposant aux chutes.

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    Dans le même esprit, on peut se demander primo où s'arrêtera le cheval, dont le regard n'est pas vraiment à ce qu'il fait, et deuxio qui est chargé de porter d'étape en étape les deux sphynges dont la présence n'est sans doute justifiée que par la nécessité d'attester le caractère antique de la scène. Mais ces observations sur la redondance d'Eustache sont mesquines : on aura vite fait de rétorquer que le cheval est certainement une jument, considérant le mouvement parfaitement pathétique de ses yeux levés vers le ciel,  à l'unisson du regard éploré des femmes. Il ne manquerait plus que le cavalier utilise son voile pour sécher les larmes de sa monture.


en attendant, pourquoi pas, la venue d'un petit Thémistocle