On pourrait croire qu'il s'agit d'une erreur en passant, d'une rature négligée, mais non : les faits sont là, tétus, et l'adoration des bergers du même Jacob Jordaens autorise deux hypothèses au moins : soit Jacob Jordaens n'avait qu'un seul enfant sous la main, toujours le même de tableau en tableau ; soit tous les enfants de l'entourage du peintre étaient hideux.
Jacob Jordaens, l'adoration des bergers, Pinacothèque nationale, Athènes
Jacob Jordaens, l'adoration des bergers, Pinacothèque nationale, Athènes, détail En faveur de la première hypothèse, cette observation de ce que pourrait être devenu le premier nourrisson :
Jacob Jordaens le retour du fils prodigue détail Musée des Beaux-Arts de Lille Nous sentons poindre une nouvelle objection : et si tout simplement Jacob Jordaens, et avec lui Salomon de Bray, n'étaient que les quelques contre-exemples de peintres incapables de réussir le portrait d'un enfant, opposés à l'essentiel, méritant, de ce respectable corps de métier ? Ou si l'on avait simplement perdu le coup de main, avec le temps, comme une vieille recette oubliée ?
Remontons dans le temps : il existe un peintre dont les enfants sont reconnaissables entre tous. Une fois que l'on en a vu un, on les a tous vus :
Andrea del Sarto (Florence 1486-1530) Le mariage mystique de Sainte Catherine
Gemäldegalerie Alte Meister Dresden
Ne sont ils pas plus vilains les uns que les autres, le petit Jésus, Jean-Baptiste, les angelots, affectés collectivement par une pathologie ophtalmologique qu'Albert Samain a décrit chez la vache d'un alexandrin unique mais pertinent ( ses yeux chassieux où pullulent les mouches ).
En réalité, une fois qu'on a appris à les dénicher, ces peintres-là, que l'on imagine grassement rétribués par des aristocrates couverts d'or mais fortement affectés par des myopies certainement congénitales dans ces milieux, on en fait la collection. Par exemple, prenons un certain Barent Pietersz Fabritius (1624-Amsterdam 1673), pourtant fin pinceau selon la rumeur. Il décide de prendre comme modèle un porc que l'on a égorgé ( Das geschlachtete Schwein, 1656 ) : dans le cochon tout est bon, et l'on a profité de l'aubaine pour faire de sa vessie une baudruche, que l'on a offert a une petite fille éperdue de reconnaissance envers ce pauvre goret. Mais si ce dernier est ravissant, en revanche, cette pauvre petite part dans l'existence bien mal lotie par la nature.
Barent Pietersz Fabritius (1624-Amsterdam 1673) Das geschlachtete Schwein, 1656
Barent Pietersz Fabritius (1624-Amsterdam 1673) Das geschlachtete Schwein, 1656, détail
Regardons cette allégorie de Verandael, les fleurs sont magnifiques,
Nicolaes van Verandael (Anvers,1640-1691) Allégorie de la fugacité
Musée de l'Ermitage, Saint Petersbourg
les bulles très réussies ; approchons nous encore un peu,
Nicolaes van Verandael (Anvers,1640-1691) Allégorie de la fugacité
Musée de l'Ermitage, Saint Petersbourg detail
mais quel est cet abominable bambin ?
Nicolaes van Verandael (Anvers,1640-1691) Allégorie de la fugacité
Musée de l'Ermitage, Saint Petersbourg detail
ou encore,
Daniel Caffe (Küstrin 1756-Leipzig 1815) Mutter und Kind 1805 Dresden
On est en 1805, monsieur Caffe a eu le temps d'apprendre, de se former, nous voulons bien admettre que les Nazaréens ont perturbé le déroulement des cours à l'Académie mais tout de même ... pourrait on intentionnellement réaliser plus désobligeante composition ?
Pas très loin, sévit un certain
Le gros du dossier, ce sont ces milliers d'enfants Jésus dans la peinture religieuse, juchés sur les genoux de leur maman, dont l'aspect souvent plus qu'ingrat nous conduit à nous interroger sur la méthode du peintre - existait-il vraiment un modèle aussi hideux, qu'il s'en soit inspiré ? une telle difformité existe-t-elle dans la nature, laquelle est pourtant fort inventive en la matière ? Car paradoxalement, les angelots qui fréquemment voisinent les enfants Jésus sont rarement rebutants. D'un autre côté, les centaines de cupidons et les millions de putti qui gambadent dans la peinture profane sont le plus souvent tolérables. Il faut donc qu'une malédiction particulière affecte deux situations : le portrait d'enfant, et le genre des madones.
Antonio Bellucci (Pieve di Soglio 1654-1726) Maria mit dem Kind c.1710-1715
On croit avoir tout vu, avoir rencontré le comble de l'horreur. On pense à ses réserves de sérotonine, épuisées depuis longtemps, on en jurerait. Et puis l'on trouve encore la force d'affronter plus affreux encore :
Rembrandt Harmensz. van Rijn ( 1606-1669) Ganymède dans les serres de l'aigle 1635
En ce qui concerne la théorie, certains ont fait remarquer très tôt qu'afin de réduire les risques il fallait respecter une règle des proportions propre à l'enfance. Du côté de la pratique, force est de constater que certains ont le coup de main et d'autres non. Comment les seconds ont-ils pu survivre en dépit de leur manque évident de talent est un mystère qui fait l'objet de cet article.
Prenons un de ces artistes qui avait le don : Cornelis de Vos, le frère de Paul de Vos,