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Le songe de Raphael (notre arc-en-ciel quotidien)


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Giorgio Ghisi (1520-1586) 
Le rêve de Raphaël ou Allégorie de la vie humaine 1561


    Le graveur Giorgio Ghisi (1520-1586) né à Mantoue rencontra à Rome l’éditeur Jérôme Cock vers 1550 et le suivit à Anvers où il reproduisit les tableaux de Bronzino et de Raphaël entre autres. Quatre ans plus tard il se rend en France, répondant peut-être à l'invitation du Primatice alors installé à Fontainebleau. Entre 1555 et 1564 il compose des allégories complexes, influencé par les graveurs français Jean Duvet, Jean Mignon, le graveur L. D., Jean Vaquet, Geoffroy Dumonstier, Jacques Prévost, Jean Chartier, George Boba...

    L’ Allégorie de la vie humaine est une énigme, composition complexe, gravée dans le nord de l’Europe à une période moralisante de l’artiste. Les opinions sur l’origine du sujet et sur l’identification de l’auteur du dessin ayant servi de modèle à Ghisi divergent pour le moins. Les spécialistes ont évoqué plus d’une dizaine de grands noms. L’attribution à Raphaël, longtemps adoptée de manière consensuelle explique l’ancien titre : Le rêve de Raphaël. Dans un décor fantastique, deux personnages se font face.

    Dans la partie obscure, un homme barbu est accoudé à un rocher, près du tronc tortueux d’un arbre mort qui sert de perchoir à deux hiboux et un corbeau, survolé par une chauve-souris. Inspiré d’un dessin, lui-même copié d’un personnage de l’École d’Athènes de Raphaël, Ghisi l’a vieilli lui  prêtant les traits de Michelange. Il est entouré par une faune hétéroclite.

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    Une barque-épave se balance à la surface de l’eau, laquelle est peuplée de divers monstres pourvus de nageoires mais dont la mâchoire s’orne de dents acérées ; un être à tête et buste de femme mais dont les membres inférieurs se résolvent en queue tire-bouchonnée se dresse hors de l’eau. Un corbeau picore l’orbite d’un squelette. Les vagues s’enroulent autour d’écueils aiguisés.

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Jan van Brueghel (1568-1625) Le songe de Raphaël (Circé et Ulysse) 1595
Toronto, Art Gallery of Ontario

 
    Jan Brueghel reprend la gravure de Giorgio Ghisi, avec quelques modifications : plus de Putti, moins d’animaux,  disparition de l’arc-en-ciel à l’horizon de la terre promise ; déplacement des personnages principaux, le vieillard (Ulysse ?) en retrait et à gauche,dont la direction du regard a changé ; éloignement du premier plan de la figure féminine, peut-être Circé, qui fut probablement peinte, comme les putti,  par Hans Rottenhammer, un collaborateur de Jan Brueghel. Mais pour le reste, le bestiaire monstrueux, la barque échouée, le serpentin lumineux près du léopard, l’original est respecté dans le moindre détail.

    Une planchette posée aux pieds du vieillard porte une inscription : sedet aeternum que sedebit infoelix, « Il s’asseoit pour toujours celui qui s’asseoit  malheureux,» citation tirée du Livre VI de l’Énéid ( vers 617). Ainsi s’exprime la Sybille de Cume lorsqu’elle prédit de nouveaux malheurs à Énée, ainsi Virgile décrit-il les souffrances éternelles de Thésée. Quatre animaux menaçants regardent l’homme : un sanglier, un griffon, un chien et  un léopard de la queue duquel s’échappe un serpentin lumineux. A l’arrière-plan, une architecture e
n forme d’amphithéâtre romain trône au sommet d’une montagne abrupte d’où coule un torrent.
 

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  Dans la partie arborée, sur la droite, une jeune-femme, tenant dans sa main gauche une longue flèche pointée vers le sol s’appuie au tronc d’un palmier. Les animaux sont beaucoup moins inquiétants que dans la partie sombre :  lapins, colombe, paons, escargot. La végétation est abondante présentant plusieurs variétés de fleurs et de plantes : on distingue des lys, une fleur de la passion et quelques épis de froment. Trois putti ailés s’ébattent dans les branches des palmiers. Entre les deux personnages, dans la partie plus lumineuse, au premier plan, circulent un centaure armé d’un arc, et un éléphant blanc. Au fond, une brêche dans la frondaison permet d’observer un lever de soleil sur une ville au dessus de laquelle se développe un large arc-en-ciel à quatre bandes.

    Dans L’opera incisa de Giorgio Ghisi (Ed.Tassotti, Bassano del Grapa,1998), Mario Guderzi et Claudio Salsi ne recensent pas moins de sept hypothèses proposées par les commentateurs de cette gravure singulière. Ils retiennent comme la plus vraisemblable l’ allégorie de la libération de l’âme, écartant les interprétations virgilienne néoplaticienne (la Vertu s’avance vers l’homme assiégé par ses démons), alchimique, allégorique de la tentation, allusive à l’épisode d’Iris et Somnus, dantesque, homérique ( Ulysse et Circé, version retenue par Jan Brueghel), mélancolique dans le sillage de Dürer...
 
    L’allégorie de la vie humaine serait une représentation chrétienne traitant de toutes les vicissitudes que traverse l’âme humaine au cours de l’existence et délivrant un message d’espérance. L’homme naufragé de sa propre vie se   retrouve dans un monde hostile et aride, empli de monstres effrayants. La femme symbolise la fermeté et rappelle qu’avec l’aide de Dieu, on peut résister aux tentations. Les lys figurent la foi et l’espérance, les épis sont la providence, l’éléphant est la sagesse et bien évidemment l’arc-en-ciel pacificateur remplit sa fonction de réconciliation.Il fait fuir le centaure, symbole de violence et indique le danger que représente la clarté pour les tentations dégradantes. Cette gravure serait donc un rappel vivifiant de la foi à la lumière des références philosophiques et poétiques de l’époque.

  Cette interprétation très monolithique ne tient aucun compte de la polysémie des symboles. L’analogie avec la Mélancolie de Dürer ne réside pas dans leur maigre plus petit dénominateur commun, résumé à deux motifs, la chauve-souris et l’arc-en-ciel. La gravure de Dürer a par la richesse de ses symboles autorisé les plus extravagantes hypothèses tant que Panovsky et ses collaborateurs n’avaient pas identifié le texte qu’elle illustre précisément. Ici, manque le texte, et force est de constater, que tels des rapaces tournoyant autour d’une proie, les théories se bousculent autour de cette aubaine pour exégètes. Sans parvenir à convaincre  leur lecteur.