Johnny and the jets
Début 1981, un certain Johnny, sujet de sa gracieuse Majesté Elisabeth II, et anciennement guitariste d'un groupe alors inconnu que l'on allait appeler plus tard Police, après s'être copieusement fâché avec ses partenaires s'en fut tenter sa chance du côté de Nice, rejoignant la quantité de musicos qui se battaient pour tenir un coin de pavé dans la vieille ville. On jouait ensemble quelques gigs, on se brouillait pour une histoire de matériel ou de partage des cachets - le plus souvent misérables ... Johnny sentait qu'il y avait place pour un groupe de Rock'n Roll pur et dur ; il recruta un batteur italien, E., avec lequel il avait autant d'atomes crochus qu'une mangouste confrontée à un cobra, et cherchait un bassiste. Notre futur agent, A., me contacta via ma compagne d'alors et je rencontrai le duo. J'étais guitariste, et sans forfanterie jouait mieux que Johnny ; mais l'idée de monter un groupe avec des professionnels me tentait, et je décidai de me joindre à eux comme bassiste, après une scéance d'essai mémorable chez un personnage ahurissant plus gras qu'un loukoum qui avait un minuscule studio isolé dans son appartement et qui donna des conseils à Johnny sur le ton d'un manager professionnel à un débutant. Il poussait des petits cris et sa langue frétillait comme une luette transposée.
Nous répétâmes comme des forcenés une trentaine de reprises dans une villa du Col de Villefranche. Ceci nous permettait de tenir deux sets de quarante-cinq minutes. Notre répertoire s'étoffa au fil des mois. Nous trouvâmes immédiatement un engagement au Croque-note, qui ne désemplit pas - reconnaissons que le charme phéromonal de Johnny n'était pas étranger à l'affluence féminine. Nous jouions sur une scène extrêmement petite, il faisait une chaleur à crever, le patron nous payait des nèfles et par dessus le marché nous devions régler nos bières au-delà de la première.
Le soir du 21 Mai 2001 - cette date évoquera certain souvenir à quelques uns - nous jouâmes au Théâtre de Verdure. Il reste quelques extraits de notre prestation, dominée par la voix de Johnny, un vrai rocker, et un caractère. La veille, un contre temps malheureux du batteur avait provoqué son ire, exprimée d'un coup du manche de ma stratocaster sur la cymbale Zyndjian du batteur, la fendant sur le coup. Le batteur pris d'une fureur légitime et transalpine lança furieusement son poing en direction de la figure de Johnny qui tel un boxeur aux pieds légers esquiva. En raison de l'exiguïté de notre espace scénique, le poing du batteur rencontra violemment la pierre dure de la cave voutée qui nous accueillait. D'où un méchant traumatisme, et c'est avec un batteur dont la main droite était prise dans le plâtre que nous jouâmes devant trois mille personnes. Tout le monde dans notre entourage, à commencer par notre agent, nous répétait : c'est bon pour votre look. Continuez à vous taper dessus, çà ne peut qu'arranger vos affaires. Quelques semaines plus tard, désespérant de donner un tour professionnel à nos prestations de plus en plus décousues, proportionnellement à la consommation de certaines substances que je voyais poudrer l'appendice nasal de mes acolytes, je décidai de quitter le trio. J'aurais pu alors devenir traducteur bilingue d'injures, de l'italien à l'anglais et réciproquement.