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De la Démocratie

 Sa plume trempée dans l'éthanol n'épargne personne et n'engage que lui

de notre correspondant spécial à Kyoto, Emilio Campari, le 1er novembre 2006,


Cette semaine : de la démocratie


Avertissement du Webmestre : est-ce le jet-lag, est-ce le saké, est-ce, plus vraisemblablement encore, une allergie foudroyante au tofu, Emilio Campari sitôt foulé le sol nippon et guéri de l'entorse conséquente, s'est pris pour Alexis de Toqueville découvrant l'Amérique, convaincu d'avoir saisi l'essence de la Démocratie. Nous déclinons toute responsabilité, ce qui, bienheureusement, devrait aller sans dire dans très peu de temps dans les limites de l'hexagone.

De la démocratie

    Un jour que j'étais à Kyoto, lors de la séance de controverses, fleuron du congrès des Movement Disorders 2006, l'on voulut donner à mes collègues l'illusion qu'ils participaient à cet événement crucial et dans le même temps infliger aux fils du soleil levant une leçon de Démocratie ; on nous fit donc voter avant chaque manche, à main levée, distinguant ceux les partisans de l'une ou de l'autre des positions. À la fin du débat, nous votâmes à nouveau, dans l'illusion que l'on pouvait ainsi conclure quant à la force de persuasion de l'un ou de l'autre des orateurs.

    Bien évidemment, la méthode ne valait rien, et en disait long au passage sur les aptitudes à maîtriser les sciences statistiques et leur application à la conduite des peuples des promoteurs de la manoeuvre : car rien ne permettait de distinguer, dans cette évaluation des plus approximatives, le flux de ceux qui étaient passé de la position A à la position B, du flux inverse. Bref il eût fallu, pour que la démarche revêtisse une signification autre que sophistique, que l'on demandât à la fin du débat qui avait changé d'avis, dans un sens puis dans l'autre.

    Lorsque l'on consent à ne plus se payer de mots, à propos de la Démocratie ; que l'on oublie l'avalanche de lieux communs de Toqueville émerveillé par les Amériques et les brigands qui la peuplaient, en donnant au monde l'exemple que l'on craindrait qu'il soit suivi, à savoir, d'une population immigrante exterminant les autochtones ; en tolérant que l'on rappelle au passage que chez Aristote, cette variété d'organisation du pouvoir se situe parmi l'oligarchie, l'aristocratie, la monarchie, et la tyrannie, sans que l'une de ces formes de gouvernement examinée soigneusement emporte l'adhésion inconditionnelle du philosophe ; et que l'on accepte de passer un moment - pas trop long, on en attraperait le vertige et la céphalée - à son observation, alors on peut constater ceci. La Démocratie évolue dans une degré de liberté extrêmement étroit, binaire, et celui qui voudrait jouer le rôle du troisième larron, en général se fait manger tout cru par ses adversaires, ce qui, dans certains cas, est réjouissant, comme lorsque l'arbitre d'un combat de boxe s'en prend une, ou comme si raminagrobis se faisait dévorer par la belette et le petit lapin.

     Entre deux options, comment bascule-t-on de la droite vers la gauche, des bleus vers les roses, des conservateurs aux travaillistes, et vice versa ? C'est très simple : soit x le nombre d'électeurs, qui n'est jamais qu'une proportion comprise entre cinquante et quatre-vingt pour cent d'une population les jours où les caprices de la météorologie le permettent. Parmi les x, quatre vingt dix pour cent ont une opinion bien arrêtée sur tout sujet : ils sont de droite ou de gauche comme on est catholique ou protestant, armagnac ou bourguignon, papiste ou orangiste. Dix pour cent sont affectés par une maladie de l'esprit que l'on appelle l'indécision : prenons l'exemple d'un repas au restaurant d'un groupe de personnes travaillant ensemble, il s'en trouve toujours un pour choisir l'entrée alors qu'on devrait en être au dessert et prêt à rentrer enfin chez soi. L'indécision est la condition sine qua non du fonctionnement de la Démocratie, système dont on fait grand cas par chez nous, et que l'on croit avoir inventé ainsi que les droits des bipèdes à 23 paires de chromosomes, en oubliant que nos voisins les Suisses, les Anglais, les Hollandais et tout simplement les Américains nous ont précédé dans ce domaine comme dans bien d'autres. Revenons aux indécis : objets de toutes les flatteries, de toutes les sollicitations, de toutes les obséquiosités pendant les semaines qui précèdent un scrutin, alors qu'on devrait leur crier bien fort dans les oreilles : mais alllez vous enfin vous décider, oui ou non ? Ce qu'on ne manquerait pas de vociférer s'il s'agissait d'un conducteur planté au milieu d'un rond-point.

    Donc, la Démocratie en tant que système capable de modification ne dépend que du bon plaisir d'environ un million d'individus, dans un pays qui en compte soixante-quatre comme le notre. En réalité, et fort heureusement, la Providence, ou La sagesse des légistlateurs qui ont concocté notre constitution et donc fixé nos institutions, ont instillé de larges rasades de cette démocratie à plusieurs niveaux, dans les rouages d'un système dont on aurait pu croire qu'il autorise un certain mouvement, discret, mais néanmoins proche, sur des siècles de fonctionnement, d'une oscillation aussi menaçante que celle du balancier d'une horloge à poids. L'huile facilite la course des engrenages. La Démocratie la grippe aussi sûrement que le gel fait exploser les plomberies. En effet, il suffit pour s'en convaincre d'observer que la coexistence de deux systèmes démocratiques, l'un national, l'autre régional, aboutit inexorablement à la sidération extatique par le jeu du petit million d'indécis qui ont cette singularité cependant, s'ils ont voté blanc une fois, de voter noir la seconde, et par conséquent, de ramener au pouvoir lors du second vote, ceux qu'ils ont écarté au premier. Nanti d'une cohabitation paralysante, notre système politique est désormais garanti d'atteindre l'ataraxie, ce degré parfait d'immobilisme qui à notre point de vue explique, même si le bouddhisme n'est pas devenu religion d'État, notre engouement pour un Théocrate notoire, le Dalaï Lama.

    Voilà pourquoi, sans réserve, je suis Démocrate.
   


Date de création : 05/02/2010 : 14:53
Dernière modification : 29/06/2010 : 11:44
Catégorie : Les pyrosis d'Emilio Campari
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