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Comment en fa!re des tonnes avec Milgram

 Sa plume trempée dans l'éthanol n'épargne personne et n'engage que lui

de notre correspondant spécial rivé au service public, Emilio Campari, le 17 Mars 2010,


Cette semaine : Comment en faire des tonnes avec Milgram


    Avertissement du Webmestre : que la télévision soit le ciment du couple, notre rubrique spécialisée en bas de colonne Démocrite en fait la démonstration quasi-hebdomadaire. Il arrive cependant que le résultat de la greffe de pensée déclenche une allergie majeure, anaphylactique. Ainsi hier soir au quartier général d'Emilio-Campari, une petite buvette intitulée "à la vache folle et au mouton qui tremble", une rixe a opposé violemment notre collaborateur transalpin et un libre-penseur sud-américain, Poncho Pampa, connu pour son mauvais caractère et son manque de sang-froid. Le motif de la discorde ? Une interprétation divergente d'une émission du service public, lequel se lance dans la méta-analyse avec la légéreté d'un pachyderme plongeant dans un baignoire sabot afin de vérifier la validité du principe d'Archimède, vingt-cinq siècles après son énoncé. Poncho Pampa ayant le poignet fracassé, il ne peut s'exprimer pour l'instant. L'impact du poing de Poncho s'est révélé être la mâchoire d'Emilio, non nécessaire à la rédaction d'un billet d'humeur que nous livrons tel quel :


   On peut ignorer tout de Milgram, on aura vu Yves Montand une fois l'an depuis trente piges jouer dans son registre favori, faire croire qu'il était intelligent, ce en quoi il excellait, le temps d'un film labyrinthique, I comme Icare. Les producteurs de l'émission ont réussi la prouesse de sélectionner des centaines de candidats et de spectateurs ignorant tout de cette expérience de soumission à l'autorité ! On imagine le niveau moyen de cette fraction de la population, déjà probablement gravement handicapée synaptiquement puisque disposée à participer à la mise au point d'un jeu télévisé (Vous avez le temps de vous libérer pour ce genre d'activité, cher lecteur ?). N'ai-je point vu lors d'un zapping un jeune crétin danser après avoir répondu correctement à une question concernant le lieu d'un tremblement de terre récent ? Haïti ! Ouaiaiaiais ! Et le voilà qui se met à tortiller le croupion. Ajoutons que nos impétrants arboraient une crasse ignorance concernant l'électricité niveau cours élémentaire : étonnez vous après cela de trouver la note de l'artisan plus salée que la Mer Morte ! Pas un qui réagisse à la simple notion de voltage - l'intensité des décharges atteint 460 Volts ! Un seul commentera, mais de manière analogique, non digitale, " j'ai déjà encaissé une châtaigne", à propos de la décharge à 220 Volts, que Claude François a tragiquement popularisée. 

    Croquis à l'appui, le professeur X et ses assistants Y et Z... ânonnèrent les conclusions de Milgram, sur un ton prétentieux empestant le cour Simon et le doctorat en psychologie de la promotion Sauvageot.  Si bien que je fus pris d'un doute, de ceux qui permettent de supporter l'intenable jusqu'à la lie : ces candidats sont bidons me suis-je dit, ils jouent leur partie autant que le comédien victime des pseudo-courants, et en réalité, deux populations sont manipulées, les spectateurs du jeu - je remarquai en cours de route l'un d'entre eux qui se tenait la tête dans les mains, et une femme se couvrant la bouche dans une expression d'effarement - et les spectateurs de l'émission. Nous, vous et moi. Donc j'attendis sereinement que fut dévoilée la supercherie après un petit topo sur le comportement des spectateurs hurlant "châtiment" en trépignant
dans les gradins. Las ! Pas un mot sur le servum pecus. En revanche, je ne tardai pas à comprendre la raison de cette reprise d'une expérience archi-commentée, critiquée dans son principe ( par Milgram lui-même entre autres !), car reposant sur une triple duperie. Enjeu précisé par une philosophe avant-gardiste ( ses idées révolutionnaires ne datent que d'une quarantaine d'années) qui encourage ses élèves à transgresser (ce qui procède de la même logique que de hurler à quelqu'un qui ne dit mot : tais-toi ! ; la transgression, par définition, est une attitude singulière, auto-prescrite, et se passe de Maître), et surtout l'auteur du film.

    Lequel serait navré que l'on fustigeât les quatre-vingt pour cent de tortionnaires virtuels : car ces malheureux ne sont que les pauvres petites victimes du système de soumission à l'autorité. Le message est bien là : continuez à faire souffrir vos familles, vos subordonnés, vos proches et vos lointains, rigolez quand ils gémissent, parlez-plus fort lorsqu'ils supplient qu'on les épargne, vous ne faites qu'illustrer une loi sociologique et confirmer les prophéties des héritiers de Durkheim. Vous n'y êtes pour rien, le libre-arbitre est une illusion. La télévision dans tout ce cirque ? Elle met en scène et la perversion, et son absolution. Plus tautologique qu'un commentaire de football, elle attire le chaland, l'asseoit confortablement dans son propre salon, le repaît du spectacle de sa propre infamie. Et lui dit que ce n'est pas grave ! Quand je pense que l'on a laissé passer le cent-cinquantenaire de la confusion soigneusement entretenue de la victime et du bourreau.

    Je m'étonne que personne n'ait fait remarquer que la télévision n'a en rien participé aux premiers totalitarismes du siècle passé. La soumission à l'autorité n'a pas besoin de cet instrument pour envoyer les uns à la mort, les autres aux manettes des instruments de torture. Au contraire, il semble que lors d'une contre-expérience privée de meneuse de jeu et reposant sur la seule autorité du public, les candidats se soient montrés beaucoup moins dociles. Le professeur sur ce sujet est resté muet : bien entendu, puisqu'il reprenait mot pour mot les conclusions de Milgram, antérieures et indépendantes du contexte télévisuel. Doctus cum stylo, asinus in plateau.

    Le P.A.F s'est enrichi de quelques figures qui honorent le monde du petit écran et font que l'on se sent de plus en plus honteux de se regarder regardant cette misérable entreprise :
l'escroquerie intellectuelle du réalisateur est abyssale, autant que son silence sur le fait d'être le énième utilisateur du filon Milgram ( deux reprises télévisées identiques ces quatre dernières années aux USA ! sans compter un épisode de la série des Simpson's, et de multiples allusions dans d'innombrables ouvrages, émissions, colloques, etc...). Un dernier mot : il paraît que le maître de cérémonie  a été sérieusement mis en question par un des philosophes participant au débat à propos de l'interrogatoire de l'un des candidats. Comment les autres intervenants ont-ils pu poursuivre sans broncher cette mascarade ? Sinon pour démontrer qu'ils étaient eux-mêmes, à leur manière, les moutons qu'ils venaient d'absoudre. Mais la question qui résiste, une fois dissipé ce brouhaha, est l'existence même de ce genre d'émission. Quels sont les pouvoirs de ce réalisateur et de cet animateur, d'une philosophe critique, excusez-moi du peu, de Bourdieu et d'Halimi, pour occuper impunément l'espace médiatique ? La réponse est odieuse : parce que j'ai regardé leur exécrable production. Comment je réglerais cette question ? Si j'en avais le courage, en propulsant mon téléviseur par la fenêtre. Ou en le retournant, pour faire comme Boris Vian. En attendant, je conseillerais au réalisateur les cycles de formation permanente pour auteurs en mal d'inspiration, option pâtisserie ( l'art de la tarte à la crème ), jardinage ( l'entretien des marronniers ), menuiserie ( enfonçage de portes ouvertes), vol à l'étalage de bons sentiments (pilleur de tronc). Pour l'animateur caractériel,  un seul remède, les coups de lattes dans le premier train pour Perpète les oubliettes. 


Date de création : 18/03/2010 : 10:33
Dernière modification : 22/03/2010 : 07:15
Catégorie : Les pyrosis d'Emilio Campari
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