Si l'on suit l'essentiel des peintres d'histoire religieuse, un père de famille placé dans une situation quasi-désespérée, choisirait contre toute attente si l'on se place du point de vue de la survie de l'espèce, d'extraire son père du tumulte des flots, tel Énée portant sur ses épaules Anchise hors de Troie en flammes, sans un regard pour sa progéniture tendue à bout de bras par une épouse résignée à son sort mais implorant que l'on épargne son nourrisson. On ne dira jamais assez haut et combien la corporation des peintres a été corrompue par celle des gériastres. Revenons au père de famille, dont les déterminants du choix méritent un examen attentif : quelles sont les possibilités compte tenu qu'il ne dispose que d'une main opérationnelle :
- sauver la mère, et avec elle l'essentiel de l'avenir du couple, la promesse d'autres enfants, avec ce que cela comporte comme vicissitudes : n'a-t-elle pas déjà les traits fatigués, le sein lourd, la lèvre ourlée d'une fine moustache, sans compter un certain empâtement pour ne pas insister sur l'embonpoint manifestement plus proche de l'obésité morbide que de la surcharge pondérale bénigne ; afin de le dissuader d'opter pour cette solution, nous aurions conseillé un détour par notre séquence consacrée à l'avenir du couple
- céder à la facilité immédiate, attraper l'enfant qui ne pèse pas lourd, en comparaison de sa mère, mais tout de suite les ennuis arrivent, les cris, les caprices, les retards à l'école, les carnets de notes calamiteux, les convocations chez le proviseur... et il faudra affronter la ronde infernale de la culpabilité adolescente - qui n'est qu'une manière, tout à fait justifiée il faut l'accorder, de rendre coupable les parents de la naissance de l'enfant : et pourquoi tu m'as sauvé et pas ma mère, et si j'étais mort elle serait encore en vie...
- épargner son géniteur, et compromettre ainsi la chance que vous offre le destin, d'hériter un tout petit peu plus tôt que prévu. Mais il y a dans le regard du vieillard un je-ne-sais-quel si tu me tires de là je ferai de toi mon légataire universel qui emporte la conviction.
Pour Monsieur Court et ses collègues, il semble qu'un retard de rente vaille bien que l'on se débarrasse à l'occasion de sa petite famille. Et cette décision prise dans l'urgence n'est pas sans sagesse : peut-être même se passe-t-elle de réflexion, et ne relève-t-elle, vu le peu de temps imparti au candidat, que du réflexe : or nous savons depuis que le Webmestre nous en a instruit, que le fameux raisonnement auquel nos philosophes nous ont conseillé d'accorder notre confiance, est en réalité une cause d'embrouille majeure, source de la quasi totalité de nos maux : il fallait lire fumeux, et non fameux, chez Descartes et quelques autres. Revenons une dernière fois à notre père de famille : j'en entends penser qu'il pourrait tenter de sauver tout son monde : on voit bien chez que cela est impossible chez Girodet Trioson : qui trop embrasse, mal étreint :
Girodet Trioson Scène de déluge 1806 Musée du Louvre
Quant à Regnault, on le sent saisi d'un doute le temps d'un dernier regard en direction des victimes imminentes.
L'initiateur de ce comportement à la troyenne est certainement Michel Ange dont le Déluge, à la Chapelle Sixtine, campe pour l'éternité le père supporté par le fils, et l'on ne s'étonnera pas que l'idée de la retraite par répartition fut la conséquence d'une visite au Vatican organisée par un comité d'entreprise du temps de la CFTC.
On trouvera confirmation des propositions de Court chez Lazzarini, par exemple, qui de manière plus radicale évite au pater familias d'avoir à se poser la question qui paralyse le jugement : sa femme et son fils sont très probablement déjà engloutis.
comme c'est curieux, l'épisode est relaté dans un autre tableau du musée des Beaux-Arts de Lyon :