Les Nippons qui s'éveillent dans l'incapacité de bouger, situation qu'ils appellent kanashibari, prétendent qu'une sorcière s'installe sur leur poitrine, mue par l'idée de leur ôter l'existence. Nous appelons ce phénomène que nous sommes nombreux à avoir expérimenté de manière occasionnelle, et qui lorsqu'il se répète appartient à la symptomatologie de la maladie de Gélineau, paralysie hypnopompique. Je ne sais si Johann Heinrich Füssli était averti de cette légende ni s'il avait éprouvé cette désagréable oppression lorsqu'il composa ses Cauchemars dont voici la version la plus célèbre, peinte en 1781 et exposée au musée de Detroit.
I - Le cauchemar
Car nous allons parler d'un cauchemar, que j'ai fait, d'une forme particulière puisqu'il est découpé comme un triptyque. Le titre général du cauchemar est : Flux et reflux. Inspiré de la fameuse vague d'Hokusaï. La première partie s'intitule Sac et Ressac. Chacun d'entre vous est sans doute tombé en arrêt devant ce genre de spectacle offert gracieusement par la nature : ici un îlot déchiqueté d'autant plus intriguant qu'il est encéphalomorphe et attaqué sans relâche par des vagues, sculpté par leurs assauts. L'eau s'engouffre violemment dans les interstices, et le rocher la restitue d'une manière plus ou moins visible, parfois en rigolant.
La seconde partie, vous la connaissez certainement si vous avez assité à quelque conférence d'un de nos confrères prestigieux du mouvement cognitiviste : le fameux feed-forward sweep, concept évoquant le mouvement d'aller-retour d'un balai et énoncé par Lamme en 20001, ce mouvement de va-et-vient que l'on enregistre à l'aide d'une appareil de magnétoencéphalographie2. La première version illustre l'activation de proche en proche lors de l'audition d'un mot, la seconde lors de la lecture d'un mot. Un premier mouvement envahi littéralement le cerveau, un second moins visible revient vers les aires premièrement activées.
L'interprétation est, rapidement, la suivante : lors de la lecture par exemple, plus exactement lors de la présentation d'un mot ultrarapide sur un écran, une activation limitée des aires striées et des aires adjacentes ne donne lieu à aucune rapportabilité par le sujet - le critère de la conscience pour les cognitivistes. Si l'exposition du mot est plus longue, alors l'activation se propage vers l'avant, et, c'est le principe du feedforward sweep, revient sur les zones préalablement activées : le sujet rapporte ce qu'il a lu, le phénomène enregistré correspond à une activité consciente.
Dans un article de Nature, paru en 2001, Dehaene, Naccache et Cohen ont mis en évidence les aires corticales activées lors de la lecture - j'hésite vraiment ici à utiliser ce terme - inconsciente et consciente3.
La troisième et dernière partie de mon cauchemar est plus intime : bien que ce ne soit un secret pour personne que nous sommes quelques-uns ici à nous intéresser plus particulièrement à la Démence à corps de Lewy. Parmi les singularités de cette pathologie, figurent en bonne place les troubles de la vigilance avec de très grandes difficultés dans le domaine de l'attention, et l'irruption d'hallucinations visuelles dont l'un des challenges de ce que nous avons entrepris est de déterminer si oui ou non les unes dépendent directement des autres. L'une des caractéristiques de l'affection est la difficulté à obtenir un maintien de la concentration du sujet sur une tâche. Dans ce cauchemar, où l'on m'appelle Monsieur Lewy, et où l'on m'exhorte à continuer à respecter la consigne, la question angoissante est : qu'est-ce qui s'active dans le cerveau de monsieur Lewy, au delà de ses tympans ? Question : j'ai inséré quelques images subliminales : de la statue de Condillac, de Malcom McDowell dans le film de Stanley Kubrick, Orange mécanique, de la tête de Haussmann, du film Brazil de Terry Gilliam. Vous connaissez le titre anglais du film de Kubrick ? A clockwork orange.
Récapitulation : voici les trois volets de ce triptyque cauchemardesque, un modèle de cauchemar cognitiviste. Pourquoi me direz-vous, le désigner ainsi ? Permettez-moi de rappeler quelques propositions fondamentales du cognitivisme.
II - Cognitive Psychology for Dummies
Pour nos collègues cognitivistes et il s'en trouve certainement dans la salle, toute fonction peut être décomposée en processus autonomes ; le cognitivisme se propose d'étudier l’architecture de ces processus et des liens qu’ils entretiennent entre eux : les boîtes et les flèches de tel de nos collègues spécialiste de la mémoire ; aboutissant à des modèles sériels : différents modules sont placés à la suite les uns des autres ; et des modèles connexionnistes : le traitement de l’information est distribué de façon parallèle entre de nombreuses unités disposées en couches : les réseaux neuronaux.
Ainsi, la fonction visuelle telle que la figurait Leonard de Vinci a-t-elle laissé la place en 1982, au modèle fameux d'Ungerleider et Mischkin, qui distinguent deux voies parallèles dans le traitement de l'information visuelle, la voie ventrale et inférieure du What, quel est l'objet, et la voie dorsale et supérieure du Where, où est l'objet. Chaque voie est une succession de modules où l'on traitera de manière de plus en plus précise de l'objet. Le réseau, visual cortical wiring, s'est considérablement complexifié depuis et cette image proche d'un tableau de Mondrian date déjà.
Le cognitivisme se pose donc comme but l'identification des diverses opérations mentales nécessaires à l’accomplissement d’une tâche ; une opération mentale est un processus de traitement d’informations. Exemple d’informations : les représentations perceptives ou les représentations d’action. Le cerveau est conçu comme une machine à fabriquer des représentations ; le cerveau est en définitive le miroir du monde (dernière phrase du best-seller de J.P. Changeux, l’homme neuronal).
La Psychologie cognitive élabore des modèles de traitement de l’information à partir de l’étude de sujets sains. La Neuropsychologie cognitive est la mise à l’épreuve de la pathologie de ces modèles. Voici une illustration des déductions de l'observation de différentes variétés d'hallucinations en fonction de l'altération modulaire sur la voie du What.
Mais il existe un trope fondamental : j'utilise le mot trope à dessein, car il s'agit à mon avis autant d'une figure logique que d'une figure rhétorique, plus précisément une astuce de raisonnement extrêmement solide formellement, que l'on retrouve dans toute l'histoire des sciences au coeur des théories les plus robustes. Ce trope, est la mise en évidence de doubles dissociations : l'altération d’un processus A couplée à la préservation d’un processus B chez un patient est comparée à l'altération du processus B couplée à la préservation du processus A chez un autre patient : ceci permet de conclure à l' indépendance fonctionnelle des processus A et B. C'est le principe de la modularité.
Pour me faire mieux comprendre, je vais choisir un exemple dans un domaine qui n'est pas du cognitivisme : celui du rapport entre le tonus musculaire et du sommeil. Voici la ronde de nuit de Rembrandt : ces personnages entreprennent leur ronde, ils sont éveillés, conscients, et toniques. Ici, une dormeuse de Vermeer : elle est endormie, non consciente, et théoriquement hypotonique. Maintenant peut-on conserver un tonus musculaire et être inconscient, en état de sommeil ? Bien sûr vous connaissez le somnambulisme. Il y a un opéra de Bellini qui s'appelle la somnambule4. Mais peut-on imaginer que le tonus musculaire soit aboli et la conscience activée ? Quelle surprise : revoici notre paralysie hypnopompique et une autre version du cauchemar de Füssli. Vous ne l'aviez pas vue venir, celle-là. Soit deux couples d’opposition paradigmatique : le sommeil paradoxal et la veille d’une part, la présence et l’absence de tonus musculaire d’autre part. Normalement, pendant la veille le tonus musculaire est présent, pendant le sommeil paradoxal il est absent par inhibition des centres moteurs à l’exception des muscles respiratoires et des muscles gouvernant les globes oculaires. Si pendant le sommeil paradoxal le tonus musculaire réapparaît, alors, somnambule, vous agissez vos rêves. En revanche, si au réveil vous ne levez pas l’inhibition du sommeil paradoxal qui achève votre ultime cycle de sommeil, vous éprouvez une paralysie hypnopompique : éveillé, mais incapable de bouger.
Pour me faire mieux comprendre encore, prenons un exemple dans un domaine cognitif qui est connu de tous et familier à certains, je veux parler de la différence entre la reconnaissance et la familiarité. Voici l'un des rares photographies du retour d'Ulysse sur son île natale, Ithaque. Il est méconnaissable, mais son vieux chien l'identifie. Et s'empresse alors de mourir, dixit Homère. Allons plus loin. Par exemple, je peux reconnaître quelqu'un qui m'est familier. Voici le retour du fils prodigue : le papa et son fiston tombent dans les bras l'un de l'autre. À l'inverse, je croise une charmante personne, je ne la reconnais pas, je ne l'ai jamais vue, et je n'éprouve encore aucune familiarité envers elle. Voici maintenant un tableau de Rubens, Ixion trompé par Junon. Ixion, invité chez Jupiter, courtise sa femme, Junon. Voilà qui n'est guère convenable. Jupiter fabrique alors un double de Junon, un sosie, et observe Ixion folâtrer avec ce double. En ruminant sa vengeance qui sera terrible. L'histoire du double, du sosie, est à la base de l'histoire d'Amphitryon qui sera traitée par Molière entre autres. Vous connaissez le syndrome des sosies de Capgras : des patients reconnaissent bien l'apparence de leurs proches, mais sont convaincus qu'il s'agit de sosies. Reconnus, mais non familiers. Existe-t-il en revanche une situation pathologique où le sujet n'est pas reconnu, mais perçu néanmoins comme familier ? Un autre délire d'identification, beaucoup plus rare, est le syndrome de Fregoli : le malade ne reconnaît pas l'apparence de son interlocuteur, mais est convaincu qu'il s'agit d'une connaissance travestie. Reconnaissance et familiarité sont deux fonctions indépendantes.
Ainsi construit-on par dichotomies successives des modules, des processeurs, placés en série et en parallèle, ici un modèle de langage qui s'est substitué à la cloche associationniste de Charcot. Vous vous demandiez quand j'allais parler de l'École d'Athènes, c'est maintenant : vous rappelez vous Aristote et les catégories de l'être, eh bien peu à peu nos cognitivistes les découvrent dans l'intimité du cortex, et plus on insiste dans ce modèle, plus l'on trace un chemin dans l'arborescence de ces catégories, ici telles que les a repensées Brentano au XIXe siècle.
Voici l'illustration d'un article paru dans Science en 2001, qui préfigure le feedforward sweep5. On trouvera une réflexion analogue dans le premier chapitre du Langage of the brain de Galaburda. Une même idéologie préside à la séduisante construction de Kemmerer et coll., qui étudient la distribution neuroanatomique des composantes sémantiques des verbes6. Pour conclure cette seconde partie, la science cognitive bâtit un cerveau à partir d'une méthode dichotomique, cerveau de laboratoire aussi différent du modèle que la Nature construite dans les chambres à bulles par la physique contemporaine.
La différence entre les physiciens et les cognitivistes, c'est que depuis l'école de Copenhague, dans les années 1930, les premiers savent qu'ils construisent une réalité de laboratoire. Néanmoins, les résultats obtenus en particulier grâce à l'imagerie exercent une séduction certaine, et pour paraphraser Montesquieu dans les Lettres Persanes, comment peut-on ne pas être cognitiviste ?
III - Entre guetteur mélancolique et sentinelle endormie
Il est un poème que vous connaissez tous : Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Il est de Guillaume Apollinaire, blessé lors de la guerre de 14, mort de la grippe espagnole en 1918. Un de ses recueils s'intitule le guetteur mélancolique. On y trouve ces vers libres :
Et toi mon coeur pourquoi bats-tuComme un guetteur mélancolique J’observe la nuit et la mort
Le patient atteint de la maladie des corps de Lewy ne guette plus rien, il est comparable à la célèbre sentinelle endormie. Je voudrais développer une métaphore, en reprenant l'idée du guetteur, ou le tableau de Rembrandt : ou encore, un camp romain, gardé par une sentinelle. Est-ce que l'observation de cette sentinelle, de son comportement, même très attentive, peut nous permettre de déduire l'organisation du camp dont elle garde l'accès ?
Ce schéma résume les fonctions attribuées aux systèmes de la dopamine, de la sérotonine, de la noradrénaline, systèmes qui sont l'objet de la plupart des investigations savantes et la cible de la plupart de nos médicaments psychotropes. Chacun de nous possède une sorte de représentation anatomo-physiologique qu'il a construite où ces neuromédiateurs ont une place, tiennent un rôle, dans l'humeur, dans la vigilance, dans la sensibilité à l'environnement, dans le niveau d'alerte... Ce qui est moins connu et qui étonnera peut-être certains, c'est que l'ensemble de ces systèmes ne représente qu'à peine un pour cent de nos cent milliards de neurones. Vous comprenez la métaphore du guetteur ?
Après tout nous connaissons un organe où quelques cellules spécialisées semblent imposer leur loi à un grand nombre de cellules soumises : le coeur, où le tissu nodal, ou encore cardionecteur, règle le fonctionnement de l'ensemble et l'adapte aux circonstances. Parlons un peu de ces 99% de neurones dont les neurotransmetteurs principaux sont le GABA et l'acide glutamique, dont l'action est essentiellement inhibitrice. Que font-ils ? Que savons-nous de leur fonctionnement ? L'essentiel de ce que je vais vous dire à présent est tiré des travaux de Jean-Pol Tassin, directeur de recherche au Collège de France, neuropharmacologue, spécialiste de l'addiction et théoricien des aspects chimiques de la transmission de l'information au sein du système nerveux. Il distingue deux modes de traitement de l'information : un rapide, analogique, qu'il appelle radiophonique : c'est celui qui correspond aux systèmes identifiés plus haut, les plus étudiés ; un autre plus lent, cognitif, impliquant en particulier le cortex prefrontal et dont l'action est neuromodulatrice.
Les limites de toutes les expérimentations que je viens de citer, et de tant d'autres, sont qu'elles concernent de petites séries de sujets normaux ou de patients ; qu'un détail comme la position de la tête influence dramatiquement les résultats ; que le design des expériences est extraordinairement stéréotypé, autant que l'étaient au XIXe siècle les premières mesures expérimentales de l'activité psychologique de Wundt à Leipzig - les fameuses mesures des temps de réaction qui formateront un siècle et demi de pensée ; que l'idéologie en est limpide, fondée dans un matérialisme sensualiste, dans la droite ligne du nihil est in intelletu quid non prior fuerit in sensu.
L'aménagement tardif de la place de l’émotion évacuée avec la Volonté a été cocasse : poussez-vous, la connaissance et l'action, le cognitif et l'exécutif, quand il y en a pour deux, il y en a pour trois (un nouveau ménage à trois). Le cerveau des cognitivistes est fréquemment soumis à des questions qui frisent le ridicule : la conscience passe encore, mais la synesthésie, le centre du beau, du vrai, de la spiritualité... Enfin, nous vivons quotidiennement l'inadéquation de la modularité : je renverrai simplement à ce que je vous avais présenté au sujet des paramnésies reduplicatives, six observations où le symptomatologie renvoyait à une pathologie fluctuante, sans lésion focale, dans des contextes vasculaires et/ou dysmétaboliques. Mais encore une fois, même si je suis profondément agacé par l'idéologie et la problématique du cognitivisme dont je vous livre ici la quintessence, pourquoi l'évolution a-t-elle manigancé la conscience, tout est dit, je ne peux parfois m'empêcher d'être fasciné par certaines révélations.
Le 16 septembre dernier, le journal Science publiait un article de l'équipe de Geraint Rees, de l'University College of London, dont l'objet était la démonstration qu'une région spécifique du cerveau apparaissait plus volumineuse chez les individus pourvus d'un sens de l'introspection et d'une capacité de réflexion sur leurs décisions plus développé que chez la plupart7.
Une hypertrophie du centre de la pensée sur la pensée. La région identifiée est préfrontale gauche.
C'est Descartes qui serait content, bien qu'il se soit un peu trompé dans son estimation, mais après tout il ne disposait pas de neuroimagerie : lui pensait que c'était l'épiphyse.
Sans doute Descartes devait-il posséder un volumineux centre de l'introspection. Mais il faudrait aussi que Descartes supporte le commentaire de l'un des co auteurs : "It's like that show, 'Who Wants to Be a Millionaire?' qui semble avoir inspiré l'idée de l'expérimentation : quelle confiance ont les joueurs dans leur propre réponse.
Conclusion - l'activité intrinsèque du cerveau :
Certains - pas vous, je me rappelle très bien une réunion où nous avons abordé le sujet du cerveau soumis à la question - seraient peut-être étonnés d'apprendre qu'il y a deux manières de considérer le cerveau : en tant que machine répondant à des sollicitations, coups d'aiguille ou de marteau, ordres de marche et jeux de questions réponses, stimulations électriques et magnétiques ; et, tenez-vous bien, en tant qu'entreprise artisanale spontanée. Incroyable ! Certains sont convaincus que livré à lui-même, interrogé de nulle part, le cerveau n'émet qu'un bruit confus dont il est impossible d'extraire du sens.
Il n'y a pas très longtemps nous étions en compagnie de Philippe Barrès à Paris, lors d'une journée marquante, tant il a fallu subir les uns, je parle des orateurs, et regretté la brièveté de l'intervention de quelques autres, je pense en particulier à Marcus E. Raichle, auquel sont attachés le concept d'effet Bold et de Resting state : d'une part, les variations de consommation d'oxygène du cerveau d'une région à l'autre, d'un moment à l'autre, et d'une activité à l'autre sont très faibles, et d'autre part Raichle s'est intéressé aux fluctuations d'activité du cerveau au repos. Il semble que les cognitivistes se soient réveillés et l'on ne compte plus depuis trois ans les publications sur le sujet émanant d'équipes fébriles toujours à l'affût d'une publication justifiant la poursuite de l'existence de leurs laboratoires. Voici le système dorsal de l'attention, le système de la salience et le default mode network, étudiés selon ces méthodes. Ces concepts sont redoutables, et je n'ai pas le temps de vous les expliciter. Toujours est-il qu'il paraît dérisoire de vouloir extraire du sens de telles observations - autant demeurer assis devant le ciel étoilé en imaginant que l'on pourra intuitivement formuler la théorie de la relativité. Le cognitivisme a ses limites : il peut sans doute prétendre observer le système d'alerte, l'interface entre le cerveau et le monde. Mais l'activité intrinsèque du cerveau, celle que par exemple nos collègues chiliens ont qualifiée d'autopoiëse, échappe à la mesure.
Alors vais-je vous infliger mes cogitations concernant ceux qui depuis bientôt vingt-cinq siècles ne pensent pas comme la plupart, Platon, Brunet, Berkeley, Brentano, Maturana, Varela, Raichle, et pas beaucoup d’autres ? Ou bien vous livrer la parabole de l'oiseau jardinier, présentée par Sir David Attenborough, aristocrate et ornithologiste ? Pour vous convaincre de quoi sont capables trois grammes de cervelle, en matière de catégorisation, et sans avoir été instruits, ni par la Nature, ni par leurs parents.
Il faut bien poser la question du programme. J'ai déjà présenté cette diapositive, à l'occasion d'une réunion polémique et charmante sur la plasticité neuronale : il y a quatre siècles, la transformation d'une chenille en papillon était impensable. Actuellement, les gènes Cox, la biologie moléculaire, ont rendu cette métamorphose intelligible, et indépendante sinon du point de vue de la survie, de l'organisation supposée de l'environnement. Je ne connaîtrai sans doute pas, le moment où la transformation d'un cerveau de foetus en un cerveau de vieillard sera pensée de la même manière. Mais de savoir que quelques-uns, dont j'ai cité les noms, ont osé affirmer l'indépendance de l'organisation et du développement cérébral, et par conséquent, son extrême singularité, me réconforte.
Mes chers Amis, cette dixième rencontre des neurologues et des psychiatres est l'occasion de vous dire combien me sont chères ces retrouvailles et à quel point elles m'auront stimulé mon reliquat neuronal. Merci encore à Myriam qui nous supporte. On nous annonce une nouvelle Décennie du cerveau : puissions-nous suivre le mouvement, non pas en spectateur depuis la rive, mais en acteurs plongés dans le torrent des idées. Je terminerai mon cauchemar cognitiviste sur ce dernier mauvais rêve, un Caprice de Goya : le sommeil de la raison engendre des monstres.
S’il y a une expérience que j’entretiens depuis des dizaines d’années maintenant, c’est celle de la pensée subordonnée au regard ; tout en maintenant une sorte de contre-pouvoir, qui est de me dire : qu’en serait-il si j’étais non voyant, si j’étais comme Saunderson, l’élève génial de Newton, et le héros malgré lui de la lettre sur les aveugles de Diderot ? Lequel s'est garanti un préciput de gloire à rapporter le génie du premier.