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La volonté, une faculté sans domicile fixe

La Volonté, une faculté sans domicile fixe ? (à propos de la décomposition de la Volonté)

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Nice, le 4 Février 2012

En hommage à Marc Jeannerod, disparu il y a moins d'un ans, et dont l'oeuvre s'est déroulée entre deux textes, Le cerveau Machine, sous-titré physiologie de la volonté, paru en 1983, et Le cerveau volontaire paru en 2009.

  
 
  Si l'on dit à l'un d'entre vous qu'il n'a aucune volonté, vous le prendrez très mal. Si vous dites à un enfant qu'il n'a aucune volonté, vous lui infligez peut être à dessein une expérience de l'humiliation qui le préparera à mener une existence tourmentée, je veux dire par là comme au bon vieux moyen-âge, que la vie lui sera une torture quotidienne. Si lors d'une consultation, alors que vous examinez un patient parkinsonien ou dépressif, selon votre métier,
vous entendez l'entourage affirmer qu'il ne fait preuve d'aucune volonté, ou sous la forme atténuée de l'injure, de bonne volonté, cela vous irrite. Vous ferez plus ou moins aimablement remarquer au dit entourage que précisément, le problème est que ce patient est altéré dans cette dimension de sa personne dévolue à l'action. À travers ces trois exemples, je souhaite simplement vous démontrer que le mot volonté exerce un pouvoir évident dans l'usage familier.



    Libre-arbitre se dit free will en anglais, freier Wille en allemand : libre volonté. L'histoire de la pensée nous montre qu'il s'est trouvé bon nombre de théologiens (Luther), de philosophes (Spinoza, Schopenhauer, Nietzsche, et plus récemment la neurophilosophe Joëlle Proust), et d'hommes de science (Ainslie, Wegner...), pour tenter de régler le compte de la volonté lorsqu'elle est accompagnée par sa soeur siamoise, la liberté. Considérée comme concept par les uns, vulgaire notion par les autres, la volonté semble avoir disparu actuellement du champ des neurosciences. Thomas Huxley en 1874 comparait les évènements mentaux au sifflement de vapeur qui ne contribue en rien au travail de la locomotive. Depuis, les auteurs les plus éminents ont opté pour cette conscience echo, reflet, eidola, émanation du travail souterrain des neurones : nous serions des automates conscients, selon Charles Darwin, Albert Einstein, Daniel Dennett, Patricia Churchland, Michael Gazzaniga, Hakwan Lau, Benjamin Libet, Henrik Walter, et Daniel Wegner. Conscients des actes, éventuellement de leurs intentions, de leurs motivations, mais conscience ne signifierait aucunement possibilité d'intervention. Leurs sont opposés les compatibilistes, tels Pockett, ou plus récemment Klemm, pour lesquels la volonté peut intervenir à l'occasion. En dehors de quelques-uns qui ont tenu à maintenir le concept à flot, tels Marc Jeannerod, la volonté n'est plus de mise, et l'on écrit plus sur sa disparition que sur sa persistance. Le libre de Michel Habib, Neurobiologie de l'émotion et de la motivation, ne mentionne pas la volonté. Les enjeux idéologiques d'une telle disparition sont considérables.



    Il est temps que je vous annonce le plan de mon exposé : dans un premier temps, j'évoquerai le théatre des opérations, c'est-à-dire, à la fois l'univers sémantique de la volonté et les localisations cérébrales premières des facultés de l'esprit. Puis j'examinerai la question de la volonté selon deux perspectives : la place de la volonté dans la détermination d'une part, enracinée dans le passé et dans le présent, la volonté comme justification ensuite, tributaire du présent et du futur. Enfin, je terminerai sur la question du désir opposé à la volonté, le bon-plaisir esclave des passions contre l'usage raisonnable du libre-arbitre.

1 - Le théatre des opérations



    L'université de Caen propose un outil linguistique remarquable, qui permet de dresser le nuage proxémique d'une notion.


 
   Voyez ici le champ sémantique élémentaire du mot volonté. La volonté et son exercice, le vouloir, croisent l'axe du subir - ou pâtir - et de l'agir, en un point qui dépend du crédit d'intervention qu'on leur accorde ; à la jonction du vouloir et de l'agir, plaçons le pouvoir. Pour peu que l'action soit subordonnée à la raison, nous obtenons la volonté dans sa définition la plus précise. Et la volonté ne se déplace guère nous l'avons vu sans la liberté. Enfin, l'action volontaire s'oppose à l'action sous l'influence du seul désir, synonyme de privation de liberté, du sujet esclave de ses passions. Vous comprenez bien que cette idée du sujet a été considérablement remise en question, et que la liberté contemporaine, s'est alliée non pas avec la raison, désuète, mais avec l'exercice des passions, le désir à l'ouvrage.



    On devine que le complexe de mots dans lequel évoluera la volonté est de cet ordre : vouloir, pouvoir, subir, agir, passion, raison, désir. Ce qui donne un complexe de complexes, si l'on utilise la proxémie. La volonté ne peut être définie que dans un certain rapport et une certaine position hiérarchique à ces autres mots, et ils forment système.



    La doctrine cellulaire des pères de l'Église a été mise en place par Némésius d'Émèse et son collègue évèque Augustin d'Hippone, postulant l'existence dans le cerveau de trois cavités remplies d'air et contenant les facultés de l'âme.



    Les Cinq sens, le Sens commun, l'Imagination, la Cogitation, le Jugement ( estimativa ), et la Mémoire.



    Voici une variété à cinq cellules. Les facultés de l'âme sont bien installées, mais quid de la Volonté ?



    Ici deux réflexions s'imposent : d'une part, Saint Augustin résout d'une manière particulièrement retorse la question délicate de la question du mal : comment Dieu, parfait et impeccable, peut-il avoir crée le Mal ? En fait en créant l'homme a son image, c'est à dire doué du pouvoir de choisir, il lui a donné la possibilité d'opter pour le Mal, ce qui fut fait au Paradis par le truchement de la tentation : ainsi l'homme est-il responsable du péché, et Dieu demeure-t-il impeccable. Seconde remarque : Saint Thomas d'Aquin, neuf siècles plus tard, distingue l’appétit intellectif, sous l’empire de la volonté ; de l’appétit sensitif, sous l’empire des passions, c'est à dire du désir.



    Changeons de cerveau avec Vésale en 1540, et prenons l'exemple en 1624 de Willis : son cerveau ne nous est pas anatomiquement étranger, mais les fonctions de l'âme n'ont pas changé, et la volonté est toujours sans logis.



    Idem chez les phrénologues : Gall et Spurzheim dénombrent trente-cinq facultés de l'esprit, mais oublient la volonté.



    La réaction anti-phrénologique mentionne la volonté, faculté active, opposée aux facultés contemplatives comme chez les pères de l'Église.



    Du temps de ma jeunesse, mes camarades de Lycée se rendaient en cours de Philosophie avec deux livres sous le bras, intitulés l'action et la connaissance.


 
   Le premier a faire une place à la Volonté est Flourens (1794-1867), qui travaille sur des cerveaux de lapins. Il établit le rôle des hémisphères dans les actes de sensibilité, d'intelligence et de volonté, celui du cervelet comme coordonateur des mouvements, celui du bulbe comme régulateur de la vie.

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    Insistons sur la sensibilité comme acte, conception retrouvée chez Magendie.


 
   C'est bien simple, on l'idoâtrait, cette Volonté, au point d'en faire avec le sculpteur Janson en 1875 comme les grecs deux millénaires plus tôt, une statue. C'est alors la Faculté de l'homme de se déterminer, en toute liberté et en fonction de motifs rationnels, à faire ou à ne pas faire quelque chose. C'est le caractère le plus éminent de l'homme pour le philosophe passé de mode, Victor Cousin. Voici la Volonté à son apogée, faculté de l'homme rationnel, prenant le contrôle à la fois du monde et de lui-même par la force de la raison combinée à la liberté. Le même siècle verra la Volonté comprise de toute autre façon, chez Schopenhauer et chez Nietzsche, comme affirmation de soi, y compris en dépit de la raison.



    Je vous propose ce tableau des facultés d'un certain philosophe spiritualiste Paul Janet, à ne pas confondre avec son neveu Pierre Janet l'inventeur de la psychasthénie.



    Vous y retrouvez la structure tripartite du cerveau actuel, à commencer par la structure du noyau sous-thalamique : partie motrice, partie cognitive, partie limbique.


    La Volonté occupait le devant de la scène des fonctions supérieures, et sa pathologie fut décrite en particulier par Jules Dallemagne et par Théodule Ribot.

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    Lequel cite un auteur, Samuel Bailey, qui brosse un tableau éloquent des facultés.

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2 - Détermination ou justification

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    Examinons maintenant la volonté comme détermination de l'action, ou à l'opposé comme justification de l'action.

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    Comment une idée peut-elle provoquer un mouvement. Comment ces combinaisons évoquées dans le cerveau de ce joueur d'échec peuvent-elles déterminer en mouvement ?



    Nicolas Malebranche (1638-1715) expose le problème ainsi : comment expliquer que nous puissions remuer notre bras à volonté, lors même que nous ne savons pas ce qui fait que nous pouvons le remuer ?





    Daniel M. Wegner appelle cela la meilleure entourloupe de l'esprit : comment faisons-nous l'expérience de la volonté consciente. Voici un schéma analogue de Frith, Perry et Lumer.



    On peut formuler le dilemne d'une autre manière : pour les uns, par exemple Théodule Ribot, " À proprement parler, l’activité dans l’animal n’est pas un commencement mais une fin, une cause mais un résultat, un début mais une suite." En résumé : l'action suit une période de délibération. À l'opposé Goethe fait dire à Faust : Im Anfang war die Tat : au début était l’action.



    Dans le premier cas, la conscience volontaire mène la délibération, la volonté détermine l'action.
Le subconscient ou quelque soit le nom que vous donnez au non conscient peut intervenir, mais au second plan.



    Dans le second, le subconscient détermine l'action, active au passage la conscience volontaire, et fait apparaître l'illusion d'une décision volontaire.



La volonté comme justification de l’action





    La conscience n'est-elle pour partie au moins qu'une disposition permettant à chacun, à tout moment, de rendre compte des raisons qui l'ont poussé à agir ainsi plutôt qu'autrement ? Je suivrais volontiers la thèse que développe Charles G. Gross dans Brain, vision, memory publié en 1999. Prenons la structure d'un temple de Justice : le temps de Salomon ou un autre. On y distingue trois chambres successives : le vestibulum, où sont reçus les plaignants, l'accusé, les pièces d'un procès ; le consistorium, où les jugent évaluent, argumentent, et rendent les sentences ; enfin l'apotheca où celles-ci sont entreposées, consignées. Si nous examinons maintenant une variété de schéma de la doctrine cellulaire, nous établissons une analogie entre les chambres du temple de justice et les cellules : la première reçoit les sensations, la seconde est le siège de la cogitation, estimation et jugement ; la dernière de la mémoire. Le cerveau comme temple de justice : rappelons que plus de la moitié de l'humanité est l'esclave de l'autre, la hiérarchie hypersophistiquée qui nous contraint, et la capacité de cruauté que nous sommes capables de déployer.



    Parmi ceux qui ont le plus insisté sur la condamnation de l'homme à assumer son engagement, figure Jean-Paul Sartre, capable de soutenir que l'existentialisme est un humanisme et de décrire simultanément l'absurdité du libre-arbitre dans l'être et le néant : « La délibération volontaire est toujours truquée. Comment, en effet, apprécier des motifs et des mobiles auxquels précisément je confère leur valeur avant toute délibération et par le choix que je fais de moi-même ? Quand je délibère, les jeux sont faits. »

3 - Bon-plaisir contre libre-arbitre





    Scipion, que l'on surnomma plus tard Scipion d'Africain, était un général romain qui, après le siège de Carthagène (Carthago Nova en Espagne) enlevée aux Carthaginois, libèra les otages celtibères. Il en garda une partie, et ses soldats lui réservaient une jeune fille particulièrement belle. Scipion refusa l'offre et restitua la jeune fille promise à un autre, à sa famille. C'est ce que l'on appelle un topos, un lieu commun de la peinture, du XVe au XVIIIe siècle. Voici la version de Bellini, et celle du maître de la raison appliquée à la peinture, Nicolas Poussin.



    Cette faculté de dire non a été appelée Nolonté par Saint Augustin. Une disposition permettant d'affirmer une volonté négative, opposée au Démon, à Satan, aux tentations. L'exemple édifiant, moralisant, de l'époque classique, le XVIIe siècle, où l'on inculquait des principes aux jeunes filles du monde avant de les confier à des marquis pervers sitôt extraites de leurs couvents ou de leur pensionnats, est la Continence de Scipion. Nous prendrions nos décisions de manière consciente et relativement libre, en ayant accès à la connaissance de ce qui est bien, au regard de Dieu si l'on est dans la morale comme Pascal, ou, si l'on est dans l'éthique comme Spinoza, si l'on est dans la considération pour ce qui est bon pour nous, et ce qui est mauvais pour nous.



    Au sujet de la prise de décision, en 1964, Kornhuber et Deecke décrivent, en enregistrant électroencéphalographiquement des sujets qui doivent décider d'un geste, une modification que l'on apelle potentiel de préparation motrice, le bereitschaftspotential.



    Benjamin Libet en 1983 reprend en l'analysant l'expérience : un chronomètre tournant rapidement, en 3 secondes, un sujet repérant la position de l'aiguille lorsqu'il décide d'appuyer sur un interrupteur, un enregistrement électroencéphalographique.




 








   Trente ans plus tard la neuroimagerie fonctionnelle a validé cette démonstration : l'intention naîtrait dans la région frontale, puis activerait la région pariétale, qui recruterait une partie du cortex moteur, puis aurait lieu la prise de conscience à partir d'une certaine activation de ce dernier, enfin l'action s'enclencherait 200 ms après. La conscience ne serait que le commentaire d'une action dont la détermination est déjà décidée avant la prise de conscience. Mais la conscience n'aurait aucune part dans l'action elle-même, sinon pendant un cinquième de seconde, pour interrompre une action : on peut y reconnaître une forme moderne de la Nolonté de Saint Augustin, la volonté de dire non.





    Une expérience beaucoup plus récente a été réalisée à Lyon par Carmino Mollotese : soit un patient au cours d'une intervention neurochirugicale à cerveau ouvert, conscient : on stimule la région pariétale postérieure, il est convaincu qu'il a bougé le bras, alors qu'il n'a rien bougé ; on stimule une région antérieure du cerveau, il bouge un bras ; on lui demande ce qu'il fait sans qu'il puisse le vérifier du regard, il soutient qu'il ne l'a pas bougé. Ce qui plaide en faveur d'une dissociation entre une zone corticale antérieure qui fait bouger le bras, et un zone postérieure qui génère une perception de mouvement du bras. S'ils ne sont pas excités simultanément (je n'ai pas écrit stimulés), il n'y a pas mouvement et conscience du mouvement.

    Sur ce cerveau sont représentées en bleu les aires prémotrices qui stimulées provoquent des mouvements dont le sujet n'a pas conscience ; en jaune, des aires qui provoquent chez le sujet des illusions de mouvement. Ces observations permettent de répondre à l'interrogation de Wittgenstein, ou mieux de faire disparaître sa problématique : “Que reste-t-il si l’on soustrait le fait que mon bras se lève du fait que je lève le bras ?”




    Avant de conclure, un mot à propos de Marc Jeannerod qui achève son livre sur la physiologie de la volonté, écrit en 1982, par ces mots : "Tout le sens du mouvement spontané est là, dans ce retournement conceptuel qu’il impose à la pensée neurologique : ce n’est pas l’environnement qui sollicite le système nerveux, le modèle ou le révèle. C’est au contraire le sujet et son cerveau qui questionnent l’environnement, l’habitent peu à peu et finalement le maîtrisent."

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Trente années plus tard, la dernière phrase du Cerveau volontaire insiste la conscience, au centre du processus de validation de l'action, et s'achève sur un sujet rendant compte de ses actes : la boucle juridique est bouclée. La conscience fut morale, puis processus d'accompagnement de l'activité cérébrale souterraine, avant de retrouver sa fonction justificatrice première.
 
Conclusion


 
   Pour ceux qui se bercent encore de l'illusion que la raison mène sinon le monde, du moins leur existence, je rappelerai, outre la disparition de la volonté du champ des neurosciences, son inexistence dans des domaines tels que l'astrologie thème de thèses en Sorbonne (nous serions le jouet des caprices de la position des astres à notre naissance), et sa persistance dans deux domaines :



     
la religion, 



    et la politique. Nous sommes ici par la volonté du peuple, et nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes.



  
Vous connaissez tous cette phrase prononcée à l'assemblée nationale lors de la séance du 23 Juin 1989 par Mirabeau. Je vous remercie de votre attention.


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En appendice, la définition de la Volonté, puissance, et de la Volition, actualisation de cette puissance, selon Locke.

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et deux références sur la motivation, par Michel Habib, données par Philippe Barrès.

Date de création : 14/02/2012 : 22:43
Dernière modification : 14/02/2012 : 23:11
Catégorie : Conférences
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