Soit une fresque de Véronèse : une femme est debout sur un rocher, l’index droit pointé vers le ciel, désignant une curieuse figure circulaire paraissant un serpent se mordant la queue ;
elle tient dans sa main gauche un calice, symbole de la foi ; à ses pieds, un livre sur la tranche duquel on peut lire les lettres BI…A, sans doute Biblia, la bible.
Une autre femme est assise, soutenant un vieillard.
ll s’agit probablement d’une version pudique de la Charité Romaine dont le développement quelques dizaines d’années plus tard sera considérable. La scène se réfère à l’histoire rapportée par Valère-Maxime (De pietate in parentes, Livre V, 4 ext.1) du vieillard Cimon, emprisonné, enchaîné, condamné à mort, que l’on ne nourrissait plus ; sa fille parvient à soudoyer le geôlier et rend visite quotidiennement au malheureux. Celui-ci tardant à trépasser, le gardien s’inquiète et découvre que la fille nourrit son père en lui donnant le sein.
Baburen, Dirck van (1595-1624) Cimon et Péro, dit aussi la Charité romaine 1623
York City Art Gallery
Véronèse semble n’avoir représenté que deux des trois vertus théologales : manque l’espérance, et l’ancre ou le drapeau qui en sont les attributs. Toutefois la vertu absente ici est parfois figurée tendant la main vers une couronne. La femme au bras levé serait alors une condensation de la foi et de l’espérance.
Il faut, pour découvrir la trace de l’espérance, porter le regard vers l’arc-en-ciel lui même symbole de l’espoir lorsqu’il est manifestation de l’alliance. Mais plus secrètement encore, dans le choix même de ses couleurs, si éloignées d’une banale observation naturaliste : l’idée de l’arc-en-ciel que peint Véronèse a trois couleurs, le rouge, le blanc et le vert. Celles que Dante emploie lorsqu’il décrit les vertus théologales au chant XXIX du Purgatoire :
Près de la destre roue venaient trois dames dansant leur ronde :
en fut l’une tant rouge que dans le feu se reconnaitrait à peine ;
de la seconde on eût dit que les chairs fussent pétries en vivante émeraude ;
la tierce me sembla frâichette neige.
Plus loin, au chant XXX, Béatrice lui apparaît Sopra candido vel cinta d’oliva / donna m’apparve, sotto Verde manto / vestita di color di fiamma viva : « coiffée d’un voile blanc, couronnée du feuillage de Minerve, une vierge apparut à ma vue, sous son manteau vert, vêtue d’une robe de la couleur d’une flamme vive.» Le blanc pour la foi, le vert pour l’espérance et le rouge pour la charité.
* Les sept vertus qui font pendant aux sept péchés mortels sont la Foi, l’Espérance, la Charité, (les trois vertus théologales), la Prudence, la Justice, la Force et la Tempérance (les quatre vertus cardinales). Les attributs symboliques de la Foi sont le calice, la croix, les tables de la Loi ; ceux de l’Espérance, l’ancre ou le drapeau ; ceux de la Charité, Saint Martin ou une femme allaitant soit des enfants, soit, dans la variété romaine, un vieillard. La Charité Romaine illustre à elle seule trois des sept actes de Miséricorde : assister les prisonniers, donner à boire à ceux qui ont soif, donner à manger à ceux qui ont faim.
Copyright Benoit Kullmann
Matthias Meyvogel (hollande ? - 1628 Rome) Caritas Romana c.1628
Szépművészeti Múzeum, Budapest
Pierre Paul Rubens Cimon et Pero Charité romaine
Greuze Cimon et Pero Charité romaine