Benoit Kullmann
Démence à corps de Lewy
Lorsque l’on aborde un sujet comme celui-ci par le biais de l’anatomo-pathologie, de la neurochimie, ou de la biologie moléculaire, les discussions entre tenants d’une entité que l’on nommerait maladie des corps de Lewy et partisans d’une conception purement syndrômique, débats passionnants certes, décourageraient le lecteur clinicien pour peu qu’il oublie sa vocation première, qui est de s’occuper de patient. Le premier temps est celui de la confrontation entre un patient et ses symptômes, d’un côté du bureau, un praticien et son expérience de l’autre.
Après avoir rappelé quelques généralités épidémiologiques et historiques, nous verrons quels sont les éléments de l’observation et de l’examen qui vont amener celui-ci à émettre l’hypothèse d’une démence à corps de Lewy .
Seconde démence dégénérative
après la maladie d’Alzheimer
Évaluations initiales : 20-25% des patients déments
Évaluations cliniques - 10-38% (12-16%)
Anatomo-pathologie - 10-20%
Barker and Foltynie How common is dementia with Lewy bodies?
J Neurol Neurosurg Psychiatry 2003; 74: 697-698
Description du locus niger par Soemmering 1778
Découverte des cellules par Schwann 1839
Découverte des neurones par Cajal 1894
Rôle du locus niger par Edouard Brissaud 1895
Description des corps de Lewy par F.H. Lewy 1912
Dépigmentation ( pâleur ) du locus niger observée par Constantin Tretiakoff 1919
Dopamine dans le S.N.C. décelée par Montagu 1957
Dopamine dans le L.N. précisée par Hornykiewicz 1960
Parallèlement, un certain nombre d’observations dissidentes sont publiées, dès 1900 pour l’Atrophie olivo-ponto-cérebelleuse de Déjerine et Thomas, puis essentiellement dans les années soixante :
A neurological syndrôme associated with orthostatic hypotension Shy, Drager 1960
Dégénerescence striato-nigrique Van Bogaert, Van der Eecken 1961
Atrophie dentato-rubro-pallido- luysienne ; Smith et Neumann 1958 1959
Démence à corps de Lewy ; Okazaki et al. J NeuropatholExpNeurol, 1961
Progressive supranuclear palsy ; Steele, Richardson, Olswezki 1964
Corticodentatonigral degeneration with neuronal achromasia
Rebeiz Kolodny Richardson 1968
Les trois premières entités ( AOPC ; Shy Drager, DSN ) sont réunies dès 1969 par Graham et Oppenheimer sous l’expression atrophie multi-systématisée AMS ; à l’inverse la paralysie supra nucléaire progressive est subdivisée tout récemment en forme parkinsonienne, forme de Richardson, et forme corticale.
Description des corps de Lewy : F.H. Lewy 1912
Démence à corps de Lewy
Okazaki et al. J NeuropatholExpNeurol, 1961
Okazaki, H., Lipkin, L.E., & Aronson, S.M. (1961). Diffuse intracytoplasmic inclusions (Lewy type) associated with progressive dementia and quadriparesis in flexion. Journal Neuropathology and Experimental Neurology, 20, 237-244.
La publication princeps d’Okazaki et al. dans J Neuropathol ExpNeurol, en 1961, concerne deux cas clinico-pathologiques de démence progressive avec quadriplégie en flexion. Dans le cortex cérébral sont identifiées des inclusions circonscrites, polychromes, argyrophiles, dans le corps cellulaire des neurones. Les corps d'inclusion sont habituellement ovales ou circulaires, rarement de contours irréguliers, au maximum de 10 à 25 microns de diamètre. Il n’est pas question de maladie de Parkinson ni de parkinsonisme dans leur publication.
La profusion d'expressions plus ou moins équivalentes désignant pour la plupart ce que nous appelons ici Démence à corps de Lewy, est à la mesure des discussions nosographiques, dominées par les frontières entre la Démence à corps de Lewy, la démence parkinsonienne, et la maladie d'Alzheimer :
Lewy body syndromes :
Diffuse Lewy Body Disease,
Cortical Lewy Body Disease,
Lewy Body Dementia,
Lewy Body Variant of Alzheimer’s Disease.
Les critères diagnostiques ont été précisés une première fois en 1996 :
Critères majeurs :
Déclin cognitif progressif :
troubles mnésiques, déficits attentionnels, phasiques, du jugement et du raisonnement, dyscalculie, altérations spatiales et temporelles
Deux des critères suivants doivent être présents :
Fluctuation des troubles cognitifs
Hallucinations visuelles
Parkinsonisme
1999 - seconde conférence de consensus sur la DCL
McKeith et al, Neurology, 1999
2005 - troisième conférence de consensus sur la DCL
McKeith et al, Neurology, 2005
Pure Dementia with Lewy Bodies
vs
Lewy Bodies in Alzheimer
Génotype
Génotype
La démence à corps de Lewy diffus (DCL) et la démence parkinsonienne (DP) : aspects communs cliniques, scintigraphiques et histopathologiques
M.Kiesmann, J.-B.Chanson B.Lannes, I.J.Namer, M.Mohr, G.Kaltenbach, M.Berthel
Revue neurologique 2006
L’examen histopathologique du cerveau de deux patients déments et suspects de DP et de DCL selon des critères cliniques et scintigraphiques permet d’argumenter le diagnostic étiologique de démence.
DISCUSSION. Dans ces deux cas la DP et la DCL présentent de nombreux aspects similaires :
1) cliniques (troubles cognitifs dysexécutifs avec hallucinations, délires et syndrome parkinsonien,
2) scintigraphiques (aspect en TEMP cérébrale au 99mTc-ECD et au 123-I-FP-CIT ou DATscan) et 3) histopathologiques. Il est intéressant de noter dans les deux cas, l’association de lésions de type Parkinson et de type Alzheimer.
CONCLUSION. Les similitudes importantes constatées dans nos cas entre la Démence à Corps de Lewy et la Démence Parkinsonienne font remettre en question les critères encore utilisés pour les différencier.
OBSERVATIONS. Cas 1 (05-061310930) : Un patient de 80 ans avec un syndrome akinéto-hypertonique intolérant à la levodopa développait un an plus tard des troubles cognitifs fluctuants et des hallucinations. Il présentait une DCL probable avec à la TEMP une hypofixation sévère du traceur dopaminergique (calcul de ratio: rapport noyau caudé/occipital à 1,5 à droite et 1,7 à gauche pour une normale > à 2,5) et une hypoperfusion corticale diffuse. L’examen histopathologique retrouvait de très nombreux corps de Lewy dans le tronc cérébral et le cortex où ils étaient diffus, associés à des lésions de MA au stade IV de Braak et Braak.
Cas 2 : Un patient de 77 ans avait depuis douze ans une MP arrivée au stade IV de Hoehn et Yahr et traitée par 700 mg de lévodopa et 25 mg de clozapine. Depuis quatre ans avaient débuté des troubles cognitifs suivis d’hallucinations, de délires et d’une démence . La TEMP mettait en évidence une hypofixation sévère du traceur dopaminergique (ratio : 1,4 à gauche et 1,5 à droite) avec une hypoperfusion corticale majeure. L’examen histologique montrait des corps de Lewy dans le tronc cérébral et des corps de lewy dans le cortex où ils étaient diffus ainsi que des lésions de MA au stade V de Braak et Braak.
OBSERVATIONS.
Clinique :Mme P. (05-1943), sans antécédent neurologique, présenta un syndrome démentiel, débutant à 44 ans par un syndrome aphaso-apraxo-agnosique associé à une désorientation spatiale, d’évolution progressive et rapide en 10 ans. Après 7 ans d’évolution apparut un syndrome extrapyramidal avec hallucinations, des chutes et des fluctuations comportementales. Absence d’amélioration sous neuroleptiques et apparition de myoclonies en fin de vie.Sa mère et une tante maternelle étaient décédés d’une MA ayant débuté à respectivement 48 et 60 ans.
Anatomopathologie : Lésions d’angiopathie amyloïde sévères diffuses intraparenchymateuses et méningées avec prédominance de dépôts d’A b40, dans les secteurs infra et supra-tentoriels, associées à des lésions de type Alzheimer intenses (anticorps anti-Tau) et diffuses (critères du CERAD). La plupart des lésions de dégénérescence neurofibrillaire et des plaques sont ubiquitinées. Négativité des dépôts A b40 et A b42 intraneuronale Le marquage de l’alpha synucléine montre de très nombreux corps de Lewy diffus réalisant l’aspect d’une DCL (critères de Mac Keith).
Génétique :Présence d’une microduplication du gène de l’APP (chromosome 21).
Un cas de démence autosomique dominante : maladie d’Alzheimer ou démence à corps de Lewy ?
E.Muzard, E.Berger, G.Viennet, L.Rumbach, A.Laquerrière, D.Campion, D.Hannequin
Revue neurologique 2006
INTRODUCTION. La maladie d’Alzheimer (MA) et la démence à corps de Lewy (DCL) sont deux entités à part entière mais dont le diagnostic différentiel peut parfois être difficile, comme l’atteste notre observation.
DISCUSSION. Deux hypothèses sont évoquées:
・une MA (syndrome aphasoapraxoagnosique précoce, anatomopathologie, génétique) ;
・une DCL (analyse anatomopathologique, syndrome extrapyramidal, hallucinations et fluctuations à un stade précoces pour une MA).La microduplication du gène de l’APP est un syndrome récemment décrit dans 6 familles françaises, exprimant deux phénotypes (MA pure et AVC hémorragiques).
CONCLUSION. Ce tableau pose la question du recouvrement des critères cliniques et anatomopathologiques chez un même patient, alors que la microduplication du gène de l’APP étaye l’hypothèse amyloïde de la physiopathologie de la MA.
Dysautonomie
Reduced cardiac uptake of 123I-metaiodobenzylguanidine (MIBG) is considered to represent dysfunction of the postganglionic neurons of the cardiac sympathetic nervous system
Syndrôme parkinsonien
Détérioration des fonctions supérieures avec variations fluctuantes de le vigilance et de l’attention
Hallucinations visuelles
Chutes , syncopes
Aggravation par les neuroleptiques +++
Aggravation par la Dopa
Amélioration des troubles cognitifs par les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase
Sensibilité aux neuroleptiques atypiques
Clive Ballard, Janet Grace, Clive Holmes. Neuroleptic sensitivity in dementia with Lewy bodies and Alzheimer's disease. Lancet Vol 351 4 April 1998 pages 1032-33