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Tous à la Ca Rezzonico

Sa plume trempée dans l'éthanol n'épargne personne et n'engage que lui

De notre correspondant spécial à Venise, Emilio Campari, le Samedi 17 Mai 2008.

    Déjà six ans que je n'avais gravi les escaliers de la Ca Rezzonico. Depuis ma première visite, il y a une bonne trentaine d'années, je tente de pérenniser la délectation éprouvée lors de la découverte du perroquet de Tiepolo perché sur l'encoignure d'une porte, et de la série des scènes de genre de Pietro Longhi. Pour me mettre en condition, je passe Campo Santa Margherita, boire l'un de mes trois Spritz quotidiens au Caffe rosso, le café rouge, mon bistro vénitien préféré.

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    Il y a trois ans, le palais était en travaux, en restructuration, et les galeries fermées au public. Samedi dernier donc, bien décidé à rattraper ce plaisir manqué, je m'accordai un surcroit de tension en gagnant directement le troisième étage, qui abrite désormais une collection dite exceptionnelle, la pinacothèque d'Egidio Martini, critique d'art et expert reconnu. Retardant d'une petite heure mes retrouvailles avec mes peintres vénitiens de prédilection.

    Le seuil de l'Ingresso à peine franchi, le visiteur devine un dédale d'espaces incomplètement clos, constitué non pas de salles mais d'un labyrinthe de cloisons qui mieux encore qu'une combinaison de miroirs accentue l'effet de profusion voulu par les concepteurs du lieu. Le leg d'Egidio Martini est effectivement partout souligné comme imposant : exceptionnel, par le nombre comme par la qualité des oeuvres. Lesquelles sont disposées dans un ordre chronologique. Je remarquais d'emblée par l'ajour laissé entre deux cloisons une toile de Carpioni, version d'un Règne d'Hypnos déjà rencontré par deux fois, à Vienne et à Budapest, lorsque j'étais chasseur d'arcs-en-ciel.

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    Plein de bonnes dispositions j'attaquais les murs de l'entrée, par un Jacopo Amigoni dont j'ai dans le temps commenté le Junon et Argus, puis un Venere e Adone de Schiavone, et trois bambins jouant avec un Léopard. Trois putti grassouillets, plus vilains que les Jésus de Michele Giambono, l'un exposant tout de son postérieur et rien de son visage, tous issus du lourd pinceau de Gaspare Diziani.

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     Et soudain, un sentiment terrible : pire qu'une illusion des sosies de Capgras, pire qu'une paramnésie reduplicative, la certitude d'être confronté à une galerie de faux, pas un tableau ne résistant à un examen à peine approfondi : juste le temps de repérer la similitude des regards plus louches les uns que les autres, la platitude des fonds, la grossiereté des formes. Un soi-disant Bernardino Licinio me parait plus piteux que le pire des pré-raphaélites, un Paris Bordone - l'un de mes peintres préférés - campe un Daniel aux proportions que la nature même dans ses productions les plus monstrueuses ne saurait inventer, un Lambert Sustris - que j'apprécie entre tous - nous inflige une Flore fanée, et que dire des prétendus Schiavone, Carpioni, Cariani, du Padovanino ...

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Bernardo Strozzi  (1581-1644) San Gerolamo Huile sur toile , 54,5 x 44,5 cm.
Venezia, Ca' Rezzonico - Museo del Settecento Veneziano, Collezione Egidio Martini


   
       Seul un Bernardo Strozzi me semble résister au doute, à côté d'un pseudo-Palma le Jeune. Je parcourus la galerie jusqu'à la lie : dérouté, incrédule, n'en croyant pas mes yeux. Un peu plus tard, circulant abasourdi dans les salles du deuxième étage, je me demandais pourquoi j'avais attaché tant de prix tant d'années aux petites toiles de Pietro Longhi qui me parurent fades ; il faut préciser que je n'en vis que deux ou trois, et de biais, la salle qui leur est reservée étant encore en travaux, exclue de la visite mais accessible à un coup d'oeil par une porte entrebaillée.

       Je ruminais une rétorsion à la mesure du préjudice esthétique subi et demandai sans ménagement au vendeur de la librairie si l'ensemble des toiles exposées au troisième étage n'étaient pas qu'un ramassis de vulgaires copies. Le pauvre préposé faillit s'étouffer d'indignation lorsque je répétais ma question de telle sorte qu'aucun doute ne persistât concernant ma maîtrise de la langue de Dante. Le catalogue de l'exposition est conçu comme un panégyrique du généreux donateur. A l'hôtel, je me précipitai sur Internet : Egidio Martini est décrit unanimement comme un personnage majeur du monde l'art vénitien, dont les certificats d'authenticité font autorité lors des ventes organisées chez Christies ou Sotheby. Certaines rubriques frisent l'idolâtrie. Aucun site ne remet en question la valeur de la collection.

    Pour ma part, je fiche mon billet qu'Egidio Martini est encore de ce monde. L'aura-t-il quitté depuis trois jours, qu'une nuée d'experts s'abattra sur le troisième étage de la Ca Rezzonico, et réduira en confetti les attributions invraisemblables de cette galerie de croûtes. En attendant, courez à Venise, Canal Grande, 3136, Fondamenta Rezzonico,Dorsoduro - si vous aimez les impostures vous serez servis. À ce propos, cameriere, remettez-moi donc un Spritz.


Date de création : 28/05/2008 : 03:33
Dernière modification : 15/10/2008 : 04:48
Catégorie : Les pyrosis d'Emilio Campari
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