Dosso Dossi(1489-90/1542) Jupiter, Mercure et la Vertu c. 1515-1518 Vienne, Kunsthistorisches Museum
Dosso Dossi choisit un sujet mythologique tiré d’une historiette à l’antique relatée avec légèreté par Léon Battista Alberti (1404-1472) ; Virtu prise à partie par Fortune en plein Champs-Élysées est expulsée de l’Olympe et contrainte d’attendre pendant un mois que Jupiter lui accorde une audience, cependant que les Dieux se livrent à des activités passionnantes telles que la surveillance de la floraison des citrouilles ou la peinture des ailes des papillons. Mercure, le confident, le complice des entourloupes et le compagnon de débauche de Jupiter, fait comprendre à Virtu que le roi des Dieux n’entend pas se quereller avec Fortune, et l’éconduit. Le traitement du sujet par Dosso Dossi est surprenant : Jupiter défait de son carquois foudroyant, ayant perdu toute superbe, n’est plus qu’un peintre barbu tout à sa toile, absorbé par le coloriage des papillons, la palette coincée dans le pouce. Mercure ailé, le caducée à la main, sans ambiguité fait signe à Virtu de taire ses plaintes. Un très large arc-en-ciel, lumineux, bicolore, dans les tons jaune éblouissant et orangé, surgit derrière le canevas. Le paysage en arrière-plan est inondé de soleil, peuplé de quelques arbres aux feuilles jaunes qu’un spécialiste des cucurbitacées identifierait peut-être . La signification de l’histoire paraît simple : ne dérangez pas l’artiste qui travaille à son oeuvre avec des considérations morales, ces dernières lui semblent subalternes. En outre, il n’a aucune envie de se brouiller avec le succès.
Mais les allégories Virtu et Fortune ne désignent pas plus l’antithèse du vice que la Chance. Léon Battista Alberti n’était pas seulement une compagnie recherchée par ses amis, un bon vivant qui cloué dans son lit par la maladie hoquetait de rire en écrivant son Momus ou le Prince (1447). Esprit encyclopédique, figure de l’humanisme au même titre que Léonard de Vinci, il avait bien avant Machiavel posé la problématique de la Fortuna et de la Virtu, la première étant comprise comme le hasard derrière le flux des évènements, la seconde comme la détermination, l’audace de l’individu qui force le cours des choses. Lorsqu’Alberti est passé par Ferrare, Dosso Dossi venait au monde. Le second a certainement lu les populaires Intercenales du premier. Surtout, le peintre au service d’un prince contemporain de Machiavel (1469-1527) pouvait avoir eu connaissance de la pensée du florentin. Cette hypothèse devient quasi-certitude lorsque l’on sait que ce dernier admirait sans réserve César Borgia (1475-1507), le frère de Lucrèce (1480-1519), épouse en troisième noce d’Alphonse d’Este (1486-1534) et mère d’Ercole II (1508-1559), second employeur du peintre.
L’œuvre de Dosso Dossi peut être comprise comme une apologie de l’immoralité, ou sa simple illustration ; elle se peut lire encore comme une satire, dans l’esprit d’Alberti. Elle est aussi une œuvre dont le commanditaire est un mécène amateur d’art plus que fin politique ; et l’on peut supposer dans la façon de traiter le sujet une part d’irrévérence.